http://www.rue89.com/entretien/2010/06/ ... ent-153682
Le « care », au départ, est une réponse féministe à la théorie de la justice de John Rawls, axée sur la valorisation de l'autonomie de l'individu. Le care valorise au contraire le soin apporté aux plus vulnérables, leur prise en charge. Il tient compte, comme d'une simple réalité, des rapports de dépendance entre les êtres humains. Et il remet donc en cause l'utopie libérale selon laquelle l'autonomie serait l'objectif à atteindre pour tous. Le « care » est, selon les mots d'Ewald, une « tentative de maintenir un peu d'humanité dans un individualisme déshumanisé ».
Mais Ewald doute de la capacité du PS à porter cette idée de « care » qui, selon lui, est « complètement contraire » à l'idéologie de l'égalité socialiste.
J'ai été sensible à cette notion de care, étant donné que je passe plusieurs journées par semaine avec des handicapés mentaux, des autistes, des trisomiques et des déficients intellectuels, dans le cadre de mes études et d'un engagement associatif dans le domaine médico-social.
En effet j'ai été frappé par l'importance de la prise en charge et des soins que l'on peut apporter à ces personnes pour qu'elles puissent accéder à un début d'autonomie, tout en étant confronté à la réalité de leurs pathologies : certains ne deviendront jamais autonomes et dépériraient sans prise en charge.
Ce sont des personnes dépendantes, qui ne pourront jamais être libres dans le sens de la doctrine libérale, car ils auront toujours des besoins vitaux ou existentiels qu'ils ne pourront jamais satisfaire seuls.
En revanche les personnes handicapées ou dépendantes ont accès à une forme de liberté qui va avec le développement de leur personnalité, leur épanouissement personnel et la conscience progressive qu'ils peuvent acquérir du monde qui les entoure. Il y a souvent une forme de désinhibition sociale chez eux qui quelque part donne l'impression d'une grande liberté que je leur envie parfois. Ils mènent une existence avec moins de contraintes, moins d'obligations provenant de la société, qui sont compensées certes par d'importantes contraintes internes, de souffrance et de frustration.
Mais cette prise en charge n'est pas la même dans tous les pays. En France nous avons des institutions de solidarité et un système social qui prennent en charge la dépendance de manière particulièrement fiable. Notre système social a été mis en place par le Conseil National de la Résistance après la guerre, sous inspiration marxiste et collectiviste, mais également libérale.
Or, que ce soit le communisme ou le libéralisme, ces idéologies datent tellement qu'elles se sont organisées sous formes de dogmes, souvent concurrents, et les idées qu'elles véhiculent sont devenues de plus en plus abstraites, au point de se rapprocher de la théologie et de la morale religieuse qu'elles avaient pourtant condamnées explicitement.
Le Parti Pirate, depuis son émergence en 2006, est naturellement l'héritier de ces idéologies qui fondent son vocabulaire, ses valeurs et sa manière de penser.
Mais sur le plan économique, nos propositions sont autant éloignées de l'autonomie individuelle des libéraux que de la dictature du prolétariat marxiste.
En effet, nos propositions interviennent dans un contexte très différent de celui du 19ème siècle, et si nous pouvons parler de protection des libertés fondamentales et de conflits socio-économiques, nous ne pouvons plus nous réclamer du libéralisme ou du marxisme, car notre contexte est celui du glissement de la société de consommation vers la Révolution de la société de l'information.
Le "care" est peut-être juste un effet d'annonce ou une mode idéologique. Néanmoins il oppose au libéralisme, qui est une position majoritaire dominante au sein du PS et de l'UMP, une vision de l'individu en interdépendance avec les autres êtres humains, dans une société fraternelle et solidaire.
Au Parti Pirate, je ne pense pas que nous devrions reprendre le terme de "care" en tant que tel. Mais cela devrait nous faire réfléchir et nous inciter à penser aux conséquences sociales de notre programme économique.
En effet, la réforme du droit d'auteur et la libre circulation des savoirs scientifiques que nous proposons sont des propositions économiques qui visent à diriger notre société vers de nouveaux modes de rémunération de la création. Mais ces propositions ont des conséquences sociales, c'est à dire la prise en charge de l'accès à la culture, à l'éducation et à la technologie par la collectivité pour tous ceux qui n'ont pas les moyens de payer plus qu'un accès Internet à 360 euros par an pour accéder pleinement à la société de l'information, sa culture et sa diversité.