
Pourquoi non ? Parce que, si on se définit comme "pirates" et attachés à la culture, il faut reconnaitre que déjà, c'est pas dans la culture française. D'un point de vue plus juridique, ce principe s'exprime par la maxime "nul ne plaide par procureur" et a été réaffirmée par la Cour de Cassation dans ce magnifique arrêt que j'ai galéré à retrouver dans les méandres du web où le fonds de garantie automobile cherchait à récupérer des sous indûment.
De fait, comment se passe une class action, et pourquoi ça serait pas top (voire infaisable) de soutenir ce genre d'actions (même si ça a l'air bien classe quand on regarde "Erin Brokovich").
Etape 1 : Une entreprise fait une GROSSE boulette. On va prendre un exemple récent et bien médiatique : le médiator des laboratoires Servier. Donc l'entreprise lâche dans la nature un produit qui est susceptible d'affecter un paquet de gens.
Etape 2 : on se rend compte du problème et de son coté "grande échelle". A partir de là, je me rends compte que mon exemple est pourri car les médicaments sont soumis à des tests d'une autorité théoriquement indépendante en attendant d'être mis sur le marché. Donc pour simplifier la chose, imaginez qu'il n'y a pas de contrôle étatique sur les médicaments, merci. Pour ceux qui n'y arrivent pas, imaginez une voiture avec un système de freinage défaillant.
Etape 3 : L'entreprise, en bon agent économique, va faire un calcul cout/avantage, ici : cout du rappel du produit (+ scandale) / cout d'une indemnisation au cas par cas (+ scandale moins visible). Pour le rappel du produit, pas de problème : on fait passer des annonces, des pubs, on passe par les circuits de distribution normaux (pharmacie / concessionnaires) et les gens qui ont achetés un produit défectueux sont indemnisés. A noter que les rappels se font en général très vite après l'arrivée du produit sur le marché : on limite l'impact auprès des particuliers. Sinon, retour à l'étape 2 : on se rend compte qu'il y a un problème avec ce produit et qu'il touche un nombre conséquent d'individus : la médiatisation fait mousser le tout et les gens envisagent de porter l'affaire en justice (normal). C'est ici que ça change.
Etape 4 : Un avocat - qu'il soit ténor du barreau ou pas - va entendre parler de l'affaire et va décider de représenter TOUTES les victimes, du moins le plus possible. Pourquoi ? Aux USA ça marche parce que l'avocat est payé au pourcentage des indemnités perçues par son client. Ya qu'à voir comment l'avocat de Nafissatou Diallo a porté plainte au civil un bon mois avant la relaxe pénale de DSK : il a senti le vent tourner et essaie d'assurer ses billes..
En France c'est pas pareil parce que : a) on a le système de l'AJ (aide juridictionnelle) qui assure aux justiciables, sur conditions de revenu, tout ou partie des frais d'avocat.
b) les avocats vous facturent une prestation à l'avance, et pas en fonction du résultat du procès. Pour faire un parallèle avec le monde médical, imaginez un médecin que vous ne payez que si vous êtes guéri. Super ! Mais aucun médecin ne voudra vous examiner si vous avez un cancer, une MST, une maladie orpheline... vous pouvez crever (de toute façon vous aller crever) car vous ne rapporterez rien au médecin.
Mais soit, imaginons que la "class action" existe quand même. On a donc notre avocat qui a investi de l'argent dans des campagnes de pub, des affichages, des annonces dans les journaux pour toucher le plus gros public possible : il a obtenu des réponses, il représente 2.000 personnes à l'audience. Maintenant, il lui faut rentabiliser tout ça.
Etape 5 : le procès. Nouvelle différence France - U$A (à inclure dans le package donc) : la compagnie peut décider de négocier directement avec l'avocat. Elle va donc payer un "forfait", au hasard 50.000$ par plaignant; pour que l'affaire soit réglée sans passer devant le juge. Oui, comme Mickael Jackson, oui. Ce, sans prendre en compte la situation personnelle de chaque plaignant, les différents effets secondaires qui ont pu ou pas se manifester lors de la prise du médicament / le fait que quelqu'un est mort, ou juste paralysé, ou juste amputé, ou a juste froissé de la tôle parce que le système de freinage était défectueux.
Ce premier point me froisse. Chacun a droit à ce que sa situation personnelle soit examinée par un expert, qui déterminera au cas par cas quel devrait être le montant de l'indemnisation - et si il doit y avoir indemnisation. Dans les 2.000 cas recensé il peut se glisser des "passagers clandestins" : l'avocat s'en fiche, plus il a de clients plus il va empocher; et l'entreprise s'en fiche, entre 1.980 personnes à indemniser ou 2.000, du moment que l'affaire est vite étouffée et l'image de la boite pas trop-trop écornée, elle va pas jouer les pinailleuses.
Sinon, ce sera au juge de trancher sur le montant de l'indemnité, sans avoir jamais vu la tête d'un seul des plaignants, sans jamais pouvoir se faire son opinion sur l'opportunité des poursuites invoquée par chaque plaignant. En clair : on donne la possibilité à des gens d'agir en justice "pour rien".
Etape 6 : le procès (bis). Ben oui, à partir du moment où une entreprise a été condamnée / a acceptée une indemnisation (même avec une mention de confidentialité pour pas que le montant exact se sache) ça fait jurisprudence et boule de neige. Dans le cas d'un produit pharmaceutique chimique (coucou l'agent orange) qui peut produire des effets secondaires des années après, voire sur les enfants, n'importe quel avocat un peu avide peut, 10 ans plus tard, relancer une campagne de pub, réunir à nouveau des centaines de personnes dans un dossier et "faire cracher" la même boite, qui n'aura plus aucun répit jusqu'à ce qu'elle mette la clef sous la porte. C'est le revers de la médaille : pour l'entreprise, l'affaire ne se terminera JAMAIS, puisque tant qu'elle cherchera à préserver son image (et on sait avec les débats sur le droit à l'oubli à quel point l'image est importante) elle va débourser des fortunes pour préserver cette dernière. L'entreprise devient la poule aux œufs d'or des avocats sans scrupules.
Je ne suis pas contre le droit à chacun d'obtenir réparation pour un préjudice subi et réel, bien au contraire. Mais je trouve que transposer aveuglement un mode de règlement des conflits, un mode dangereux pour la justice comme pour l'accusé, et un mode qui s'inscrit dans un système juridique radicalement différent du notre, ça ne tient pas la route.
Dans un souci de totale transparence, et pour vous féliciter de m'avoir lu jusque là, je vais nuancer mon propos : il existe déjà des formes de représentation "globalisantes" sans porter atteinte au principe de l’intérêt à agir. Les deux principales sont :
a) Les syndicats. C'est leur boulot, ils représentent les salariés et défendent leurs intérêts,qu'ils soient adhérents ou pas. Sauf que les syndicats ont un rôle plus large que ça, puisqu'ils "crééent du droit" à travers les négociations de conventions collectives par exemple, ou bien ils interviennent directement dans la gestion de fonds publics (gestion tripartite de la Sécu). Je rajouterais à titre personnel que le droit du travail est un vaste bazar et que l'appui de syndicalistes "formés" à l'exercice que constitue le tribunal de commerce n'est pas à négliger.
b) Les associations anti-racisme(s). Encadrées par certaines limites de temps qui bloquent les associations "ad-hoc" elles peuvent porter plainte pour homophobie, discrimination etc... en lieu et place d'un individu. Cependant leur combat est d'ordre idéologique et non pas financier, il s'agit de faire reconnaitre les droits (bafoués) de la personne ainsi représentées : les condamnations pour "un euro symbolique" démontrent leur peu d'appétit pour l'argent.
J'attends vos remarques pour débattre (ou pour me dire que ma démonstration est claire comme l'eau de roche et qu'il faut m'édifier une statue) mais demain, car là il est tard... Bonne nuit les PiratEs z'et les Pirates