je suis vraiment enthousiasmée par vos réactions, le fait que l'on soit dans une discussion sur le concret, le pragmatique, et non l'idéologie ... ça fait du bien, vraiment, de pas avoir à se "justifier", se défendre d'être les complices du patriarcat, des proxénètes, du capitalisme (et j'en passe) etc...
c'est presque dommage parce que du coup vous me sortez pas l'argument habituel sur la traite, les "80% d'étrangères victimes des réseaux" etc etc et j'ai pas l'occasion de déconstruire ces discours ...
bon je vais le faire quand même, parce que c'est quand même un aspect essentiel du sujet, et puis si vous avez à débattre de ce sujet avec d'autres personnes, ça pourra toujours vous être utile.
donc, ce chiffre de 80% d'étrangères victimes de traite, il faut savoir d'une part que ce chiffre de 80% est celui de l'OCRTEH (Office central de répression de la traite des êtres humains), dépendant du ministère de l'intérieur, et se base sur les arrestations. Donc, oui, une majorité des putes arrêtées est étrangère... on peut donc légitimement se demander si ce chiffre reflète la réalité ou les pratiques policières. Il est impossible aujourd'hui de chiffrer la prostitution, puisque la grande, grande majorité est "clandestine"; donc, établir des pourcentages n'a aucune sens. Selon les "sources officielles", il parait qu'il y a environ 20 000 prostituées en France. Quand on sait que dans des pays où la situation légale est meilleure, et donc où les putes se déclarent plus, comme en Angleterre ou en Allemagne (où la population est à peu près égale à la France), les chiffres sont entre 200 et 400 000, on peut légitimement penser que le 20 000 de la France est ... sous-estimé....
d'autre part, la loi Française ne fait pas la différence entre "traite" et "aide à la migration"; en d'autres termes, toute pute migrante est considérée comme une victime de traite; cette façon de voir les choses est non seulement assez condescendante, puisqu'elle part du principe qu'une étrangère ne saurait avoir pris la décision de venir tapiner en France, qu'elle est forcément forcée par quelqu'un d'autre. Surtout, cela permet de légitimer la chasse aux migrantes sous prétexte qu'on veut les aider, puisqu'elles sont victimes...
Entre la fille que l'on a kidnappé dans son pays pour la mettre de force sur les trottoirs, et celle qui est "libre" (est venue seule, n'a pas de mac, etc), il y a tout un tas de situations différentes. Par exemple, vu la difficulté de passer les frontières aujourd'hui (au niveau de l'Europe forteresse notamment), des personnes font appel à des réseaux de passeurs, envers qui elles contractent une dette; arrivées en France, l'argent de leur passes sert notamment à rembourser cette dette et à envoyer du fric à leurs familles restées au pays. Je ne dis pas que c'est une situation "idéale", "enviable", mais cette personne n'est pas pour autant une victime de traite ou d'exploitation. En général, si tout se passe bien, une fois que la personne a remboursé sa dette, elle est "libre" (et si son "mac" refuse, elle devrait pouvoir porter plainte, sauf que, comme elle est venue illégalement en France, si elle va voir la police elle risque en réalité de se faire expulser).
Ce sur quoi je veux insister, c'est que ce n'est pas la prostitution en elle-même qui génère de l'exploitation, mais bien les législations sur la prostitution (et la migration de manière générale) qui favorisent l'exploitation...
La définition du proxénétisme, dont on a déjà parlé, explique aussi qu'aux yeux de la loi, la plupart des putes aient un proxénètes (moi par exemple, si je paie un site pour pouvoir y mettre mon annonce, selon la loi je suis "victime d'un réseau de proxénètes) ... la plupart des procès pour proxénétisme ne jugent pas des "proxo" comme l'imaginaire collectif les imagine (le méchant mec qui force la fille à bosser pour lui piquer son fric) mais des personnes impliquées dans des activités connexes à la prostitution en elle-même (par exemple à Lyon, des putes donnent parfois du fric à des mecs pour qu'ils leur déplacent leur camionnettes car elles n'ont pas le permis). Pour résumer, tout délit de solidarité avec une pute est considéré comme du proxénétisme, et si c'est avec une pute étrangère, on passe au réseau organisé de proxénètes, à la traite, etc etc...
bon je vais peut-être m'arrêter là, si vous avez des questions n'hésitez pas
