Ce texte a été rédigé début 2006 par le Parti Pirate suédois, et traduit dès juillet 2006 en français par nos soins.
C'est un document important dans l'histoire du mouvement Pirate à travers le monde, mais nous ne le conservons ici que pour son intérêt historique. Il ne représente pas l'entièreté de la réflexion et des projets du Parti Pirate à ce jour, notamment en France.]
Déclaration de principes du Parti Pirate -- v3.2
Introduction
Nous voulons changer les lois pour favoriser l'émergence de la société de l'information, caractérisée par sa diversité et son ouverture. Cela ne pourra pas se faire sans un plus grand respect des citoyens et de leur droit à la vie privée, mais également des réformes de la législation en matière de droit d'auteur et de brevets.
Les trois priorités du Parti Pirate : préserver les droits des citoyens, libérer la culture et dénoncer la nocivité des brevets et des monopoles privés pour la communauté mondiale.
Notre société est en train de devenir celle du contrôle et de la surveillance, où chaque citoyen est fiché et espionné. Il n'est pas dans l'intérêt d'un système judiciaire moderne de surveiller tous les citoyens et d'en faire ainsi des suspects. La démocratie présuppose une protection sans faille des droits des citoyens..
Le droit d'auteur a été créé pour bénéficier à l'ensemble de la société, pour encourager la création, le développement et la distribution des œuvres culturelles. Or, de telles ambitions nécessitent un juste équilibre entre l'aspiration des auteurs à être reconnus et rémunérés, et la façon dont leur travail est mis à la disposition du public. Selon nous, tel qu'est appliqué le système du droit d'auteur actuellement, l'équilibre est rompu. Toute société doit bénéficier d'un accès libre et universel à la culture et à la connaissance ; mais aujourd'hui, le renforcement et les abus systématiques du droit d'auteur vont à l'encontre de leurs objectifs initiaux, étant donné qu'ils limitent autant la création que l'accès aux œuvres.
Les monopoles privés sont une des tares de notre société moderne. En effet, ils sont les premiers responsables de ces prix vertigineux et des nombreux coûts dissimulés que nous pouvons observer. Le système des brevets instaure officiellement des monopoles sur les idées. Les grandes entreprises font la course aux brevets, pour les utiliser contre des concurrents de moindre importance qui, de ce fait, ne peuvent pas lutter à armes égales. Le propre d'un monopole n'est pas d'adapter les prix au marché, mais de se servir de droits illégitimement acquis comme d'un levier pour augmenter les prix et imposer des conditions draconiennes pour l'attribution de licences. Nous voulons limiter les possibilités d'instaurer des monopoles dangereux et superflus.
Les marques commerciales (labels commerciaux) peuvent servir à protéger les consommateurs. Nous pensons que ce système fonctionne plutôt bien actuellement, et il n'est pas dans nos intentions de le changer.
Démocratie, droits des citoyens et libertés individuelles
Le droit à la vie privée des citoyens est garanti par le Code Civil, et de ce droit découlent d'autres droits de l'Homme fondamentaux, dont la liberté de parole, d'opinion, de s'informer, mais aussi le droit à la culture et à l'accomplissement personnel. Toute tentative de l'État suédois de restreindre ces droits doit être dénoncée et fortement combattue.
Tous les moyens mis en place par l'État pour contrôler ses citoyens (autorités, systèmes, méthodes) doivent être mis sous tutelle de représentants élus, car chaque surveillance de citoyen ordinaire, innocent de tout crime, représente une violation évidente et inacceptable des droits à la vie privée. Tout citoyen doit bénéficier du droit à l'anonymat et d'un droit de regard sur l'utilisation de ses données personnelles, qui doit être renforcé.
Nous nous élevons contre toute législation spécifique au terrorisme. Les sanctions pénales déjà applicables contre les auteurs d'atteintes ou menaces envers les citoyens ou leurs biens sont amplement suffisantes. À ce jour, les lois anti-terrorisme annihilent l'exercice serein de la justice. De plus, elles sont susceptibles d'être détournées pour réprimer les dissidents ou les immigrés. Le gouvernement est tenu de respecter la constitution non seulement par ses actes, mais aussi dans ses déclarations.
Le respect des citoyens et de leur vie privée présuppose, par exemple, l'interdiction de la torture, l'observation de l'intégrité du processus législatif et de la bonne application des lois, le respect de l'immunité des porte-parole, ainsi que celui du secret postal ; ces attentes citoyennes ne sont pas négociables. Le Parti Pirate fera tout pour dénoncer un gouvernement qui ne respecterait pas les droits de l'Homme, socle même de nos démocraties occidentales.
NdT : La constitution Suédoise comporte une référence explicite à la Convention Européennes des Droits de l'Homme, qui est de ce fait incluse dans la constitution. Certains pays ont un nom pour l'immunité des porte-parole, le "Common Carrier Principle". C'est le principe selon lequel un messager n'est jamais légalement responsable du contenu d'un message qu'il convoie.
Les lois sur le secret postal devraient s'étendre à toute forme de communication. Tout comme il est interdit de lire le courrier d'autrui, il devrait en être de même pour les courriers électroniques et tout autre type de messagerie, instantanée ou non, quelle que soit la technologie ou l'opérateur. Toute exception à cette règle doit être solidement étayée. Les employeurs ne devraient pouvoir accéder aux messageries de leurs employés qu'en cas d'absolue nécessité relative à la sécurisation des techniques utilisées, ou en lien direct avec les missions des dits employés. L'État ne devrait être autorisé à surveiller un citoyen ou ses communications que dans le cadre de la prévention d'un crime, uniquement quand des soupçons sérieux pèsent sur celui-ci. Sinon, il devrait respecter la présomption d'innocence que ses citoyens sont en droit d'exiger. Une telle loi sur le secret des communications doit être solidement défendue.
Nous demandons l'abrogation de la directive sur la rétention de données, et le renforcement du droit des citoyens à la vie privée.
Nous n'avons pas d'opinion particulière sur l'opportunité ou non pour la Suède de rejoindre l'Union Européenne, néanmoins, puisqu'il en est ainsi, nous sommes en droit d'exiger que l'Union Européenne soit gouvernée selon des principes démocratiques. Il faut remédier, à long terme, aux manquements démocratiques de l'Union, et pour cela commencer par ne pas les graver dans le marbre avec une mauvaise constitution. Le Traité établissant une Constitution pour l'Europe que la France et les Pays-Bas ont rejeté ne doit pas être adopté, ni dans sa version originale, ni sous un quelconque maquillage.
Les décisions et l'administration du gouvernement, tant en Suède qu'en Union Européenne, doivent être placés sous le signe de la transparence et de l'ouverture. Les représentants Suédois doivent amener l'Union Européenne à adopter le principe Suédois du libre accès aux archives et documents.
NdT : le principe Suédois de libre accès aux archives et documents – “offentlighetsprincipen” – offrent à chacun le droit de consulter n'importe quel document issu de n'importe quelle administration, de manière anonyme. Si certains documents peuvent être classés confidentiels et donc exemptés de ce principe, les démarches pour obtenir une telle classification sont soumises à des critères strictes, si bien que cette classification est rarement accordée, le public pouvant toujours faire appel de la décision. Pour illustrer la force d'application de ce principe, les mineurs peuvent avoir accès à des vidéos censurées par le Conseil Administratif du Cinéma, pour peu qu'ils se présentent aux bureaux de la Commission. Cette commission n'ayant pas le droit de demander ni pièce d'identité ni justificatif de l'âge du requérant.
Les fondements démocratiques doivent être protégés, tant en Suède qu'en Union Européenne.
Libérer la culture
Lorsque le droit d'auteur a été institué, il ne servait qu'à permettre aux auteurs d'être reconnus en tant que tels. Il s'est ensuite étendu à la reproduction d'œuvres dans un cadre commercial, puis même aux droits naturels des particuliers et des organisations à but non-lucratif. Ce déséquilibre a entrainé une dérive inacceptable pour toute société. Les évolutions économiques et technologiques ont perverti le droit d'auteur, qui ne suscite plus que des avantages injustes au profit de quelques gros industriels, aux dépends des consommateurs, des auteurs et de la société en général. Des millions d'enregistrements anciens, de films et de livres sont tenus en otage dans les coffres-forts d'énormes groupes de médias, qui se désintéressent de les ré-éditer, mais ne veulent pas non plus renoncer aux bénéfices qu'ils pourraient en tirer. Nous voulons libérer notre patrimoine culturel, et rendre ces œuvres accessibles à tous, avant que les bobines de films anciens ne tombent en poussière.
La législation tente d'appliquer à des valeurs immatérielles les mêmes principes de propriété que pour les biens matériels. Pourtant, les idées, la connaissance et l'information peuvent, par nature, être partagées et diffusées à l'infini, sans exclusivité aucune.
Il est temps pour le droit d'auteur de revenir à ses buts originels. La législation ne doit règlementer que l'utilisation et la copie d'œuvres protégées dans un cadre commercial. La copie, le partage, et toute diffusion d'œuvres dans un but non-commercial, ne devraient jamais être illégaux, car de tels usages profitent à l'ensemble de la société.
Nous voulons réformer le droit d'auteur commercial. La notion fondamentale du droit d'auteur a toujours été de trouver un juste équilibre entre des intérêts commerciaux divergents. Aujourd'hui, cet équilibre a disparu et doit être restauré.
Nous proposons de réduire la durée du droit d'auteur commercial, c'est-à-dire le monopole de créer des copies d'une œuvre à des fins commerciales, à cinq ans à compter de la publication de l'ouvrage. Tout le monde doit disposer du droit, dès publication, de réaliser des œuvres dérivées. Toute exception à cette règle, concernant par exemple des traductions de livres, ou l'utilisation de musiques dans des films, doit être spécifiée explicitement par l'auteur.
Nous voulons instituer un droit d'auteur équilibré et juste.
Il faut encourager explicitement toutes les diffusions non-commerciales d'œuvres culturelles, compilées ou non, modifiées ou non. Les technologies qui limitent le droit du consommateur à accéder à l'information ou à la culture, ou à en faire des copies (les "DRM"), doivent être proscrites. Tout DRM entravant le consommateur devrait être mentionné clairement sur chaque produit concerné.
Les contrats de licence destinés à restreindre la diffusion légale d'informations devront être déclarés vides de toute valeur juridique. La diffusion non-commerciale d'art, d'information ou de connaissance - à l'exception notable des données personnelles - ne doit être ni limitée, ni réprimée. En toute logique, nous appelons donc à l'abolition des taxes sur les supports vierges.
Nous voulons créer un fonds culturel commun.
Les brevets et les monopoles privés font du tort à la société
Nombreux sont les effets néfastes des brevets. Du fait des brevets pharmaceutiques, des gens meurent de maladies tout à fait curables, les priorités de la recherche sont corrompues, et le coût des médicaments ne cesse d'augmenter, sans aucune raison, dans les pays riches.
Les brevets sur le vivant et les gènes, par exemple les semences brevetées, ont des conséquences délirantes et dangereuses. Les brevets logiciels freinent l'évolution technologique et représentent une menace sérieuse envers les petites et moyennes entreprises informatiques, en Suède comme en Europe.
On prétend que les brevets incitent à l'innovation en matière de découvertes et de méthodes de fabrication, en ce qu'ils protègent les inventeurs et les investisseurs. La réalité est toute autre : les brevets permettent aux grandes multi-nationales d'empêcher de plus petites entreprises de leur faire concurrence d'égal à égal. Loin d'encourager l'innovation, les brevets forment des "champs de mines" dans la guerre que se livrent les entreprises, alors même que celui qui détient un brevet ne projette aucunement de s'en servir pour développer un produit.
Nous pensons que les brevets n'ont plus de raison d'être ; ils étouffent constamment l'innovation et le dévoilement de nouveaux savoirs. Il suffit pour s'en convaincre de regarder tous les domaines non-brevetables : nous n'avons tout simplement plus besoin de brevets. Le fait d'être le premier sur un marché donne en lui-même assez de force pour stimuler l'innovation. La compétition entre inventeurs devrait se jouer sur des avantages légitimes tels que des designs novateurs, des avantages pour le client, le prix, la qualité, plutôt que par un monopole sur le savoir, attribué arbitrairement par l'administration. Si les entreprises n'avaient plus à payer des bataillons d'avocats, elles disposeraient de ressources supplémentaires pour innover véritablement, améliorer plus vite leur produits, et nous en profiterions tous au bout du compte.
Nous voulons progressivement abolir les brevets.
En marge du système perverti des brevets, d'autres moyens permettent aux grandes entreprises d'instaurer des monopoles. En gardant secrets les formats de fichiers ou les interfaces, elles verrouillent le marché dans une logique propriétaire, au mépris ostensible des valeurs de liberté et d'équité. Ces usages entraînent une hausse de prix et un ralentissement de l'innovation. Tout système informatique, ou toute information, produit par le secteur public, devrait contrer activement l'établissement ou la préservation de ces monopoles privés sur l'information, le savoir, les idées ou les concepts. Des initiatives comme l'Open Access, ayant pour but de rendre les publications scientifiques librement accessibles, devraient être encouragées et soutenues.
Il faut combattre les monopoles privés.
Le secteur public devrait archiver tous ses documents et les rendre accessibles au public dans des formats ouverts. Il devrait être possible de communiquer avec le gouvernement sans être assujetti à tel ou tel distributeur de logiciels. L'utilisation de licences libres dans le secteur public, y compris les écoles, doit être stimulée.
Il faut encourager les formats ouverts et les logiciels libres.
Conclusion
Nous voulons préserver les droits des citoyens, leur droit à la vie privée et les droits de l'Homme élémentaires. Tout gouvernement qui habitue ses citoyens à être surveillés ouvre la porte à des abus de pouvoir, une défaillance des libertés, et des injustices. Nous exigeons que ces injustices soient réparées. Nous exigeons la justice, la liberté et la démocratie pour tous les citoyens.
Tels qu'ils sont aujourd'hui, le droit d'auteur et les brevets engendrent des monopoles néfastes, l'oubli des valeurs démocratiques les plus importantes, entrave la création d'œuvres culturelles et de savoir, et empêche les citoyens d'y avoir accès. Nous exigeons l'abolition des brevets, et un droit d'auteur équilibré et équitable, conforme à la volonté du peuple, pour enrichir l'existence des citoyens, assainir le monde économique, créer un fonds culturel commun, et profiter ainsi à l'évolution de la société dans son ensemble.
Pour y travailler, nous nous concentrons sur les voies parlementaires, et sollicitons de sur les moyens parlementaires et, par conséquent, nous cherchons un mandat du peuple pour le représenter à ces questions.
Le Parti Pirate n'a pas vocation à faire partie d'un gouvernement. Notre objectif est de faire office d'arbitres au parlement, en accordant notre soutien à une formation qui tiendrait suffisamment compte de nos préoccupations. Nous sommes prêts à soutenir un tel parti sur d'autres sujets sur lesquels nous ferions le choix de ne pas avoir de position définie.
Pour nous rassembler en un mouvement fort, nous avons résolu de ne pas prendre position sur aucune question politique dépourvue de lien avec les principes déclarés ci-dessus.
Nous sommes unis autour de notre reconnaissance du droit à la vie privée, notre volonté de réformer le droit d'auteur, et la nécessité d'abolir les brevets.