Convocation d'une assemblée constituante
Publié : lun. 08 avr. 2013, 02:48
En quoi le « poison » des affaires récentes est-il "constitutionnel" ou plutôt dé-constituant ?
Dans ses leçons, Alain Touraine expliquait naguère à ses étudiants comment le présidentialisme à la française, fruit de la constitution de 1958, avait accouché d’un bipartisme de fait malgré les apparences flatteuses d’un pluralisme « débridé ». Une sorte d’américanisation politicienne avant la lettre.
Avant lui, le Doyen Vedel, continuateur du rigoureux Doyen Houdiau, montrait comment la légitimité présidentielle obtenue à la sortie des urnes du scrutin universel direct uninominal (à deux tours) plaçait le pouvoir législatif sous la dépendance objective de l’exécutif dont le Président réserve au peuple la primeur de la confirmation de sa légitimité élective devant laquelle les chambres ne peuvent qu’obtempérer aux écart à cette norme près.
L’éminent constitutionnaliste complétait son exposé, frappé au coin du réalisme panoptique, concernant la fonction présidentielle, en soulignant que l’absence d’une séparation effective entre les pouvoirs s’aggravait de ce que le pouvoir judiciaire n’était pas constitué comme tel en France; puisque les dispositions adoptées par les auteurs de la constitution de 1958 l’avait réduit à n’être qu’une autorité.
Ces analyses, validés par les constitutionnalistes actuels, constituent le socle de l’analyse de Pierre Rosenvallon, professeur au Collège de france qui nous entraine plus loin en démontrant que le contrat républicain qui règle les rapports entre les gouvernants et le gouverné ou, pour être plus précis, les représentants et les représentés le fonde, en l’incarnant dans les institutions de la République en la personnes de ceux qui ont la charge de les faire fonctionner : gouvernants, représentants et juges.
En filigrane et sans solliciter l’auteur, qui aurait toute latitude de me démentir, ce pacte est donc par définition amendable et transformable. Et il est nécessaire qu’il le soit car sa fixité contrarierait la nécessaire fluence de la vie démocratique.
C’est précisément parce que la légitimité de l’amender, de la transformer, d’en changer les équilibres réside dans la souveraineté du peuple dont il représente en quelque sorte une épure qu’il s’avère nécessaire d’en tester et d’en vérifier la validité au fur et à mesure que les conditions de son exercice change. C’est d’ailleurs le rôle du Conseil constitutionnel de vérifier que la variabilité infinie de "l’évènement qui exige réponse", ne s’inscrive pas en contravention avec l’intangibilité principielle de ce même pacte républicain au moment il fait « socle » or ce conseil n’est pas une cour ; il lui manque donc la force contraignante de juger car un avis peut, même si cela n’est pas la règle, être ignoré ou dévoyé.
Dans le cas d’une re-fondation, il ne s’agit pas de convoquer la figure du « progrès » institutionnel, sur le modèle de celui de la science - ce qui en la matière n’aurait pas de sens - mais plutôt de questionner de manière attentive ce qui rend possible ou non son adaptation à la variabilité de l’environnement quand il devient patent que cette variabilité, avérée dans son actualisation politique et et sociale, engage la nature du pacte républicain et non plus seulement ses degrés.
L’état de la "gouvernance", mot substitué par la modernité à celui de gouvernement pour introduire à peu de frais la complexité sur le mode entrepreneurial qui n’y a pas forcément sa place, doit nous interroger sur ses liens avec le pacte républicain. Cet état réclame d’être questionné sans relâche se sorte à déceler le seuil au delà duquel les principes doivent être reformulés, aménagés, abandonnés ou changés pour être de nouveau acceptés par tous, une très large majorité tout au moins comme le substrat du lien politique et social. C’est l’enjeu de rendre « re-constituante » une assemblée tout en restant fidèle à l’esprit du fameux article 16 qui dénie le nom de République à un gouvernement dépourvu de constitution, encore faut-il que cette constitution assure sa propre légitimité à être perçue comme telle. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Qu’il nous soit permis d’en douter ne relève pas de l’outrage mais seulement de la conscience politique.
Or c’est la nature de ce lien sous-jacent et pourtant essentiel que pose crûment l’affaire Cahuzac, parmi d’autres, si nous ne désirons pas céder à l’émotion du « scoop ». Ce lien entrelace des conceptions qui rapprochent les citoyen-nes de nombreuses de valeurs comme l’idée qu’il-le se fait de la Justice. Si tous la désire, acceptons-en l’augure et le principe, ce sont bien ses modalités qui demeurent l’enjeu de sa constitutionnalisation : au travers de ce que sont effectivement sa puissance, la légitimité des décisions rendues, sa lisibilité, sa cohérence et son indépendance.
Nous avons tous lu, les analyses de psychologues qui présentent Jérôme Cahuzac, pour rester un instant sur ce cas emblématique du profond malaise populaire, comme l’incarnation de la figure de « l’enfant tout-puissant ».
Parmi les conceptions de la Justice, on peut s’en tenir à une sacralisation du libre-arbitre en état d’apesanteur social qui fait du délinquant l’unique déterminant et responsable de ses actes ou au contraire estimer que le corps social co-produit la délinquance d’un individu, y compris quand il en est la victime. Cette « co-production » n’implique ni confusion, ni dilution des responsabilités de l’auteur du délit mais interroge sur les limites de sa commission.
Entériner cette « co-productivité » est justement l’un des objectifs de la jurisprudence. Elle lui donne une traduction par l’atténuation de l’application des rigueurs de la loi en vertu des « circonstances atténuantes ». Il s’agit d’une option importante. Leur existence correspond à une forme de socialisation de délit dans le milieu dans lequel il a été commis alors perçu comme l’un de ses déterminants relatifs. Il ne s’agit pas donner un caractère collectif à la faute mais plutôt de déterminer en quoi le milieu est criminogène, en quoi l’immersion dans ce milieu atténue la responsabilité de l’auteur des faits. Comment se fait-il que dans l’affaire qui affecte l’un des membres du pouvoir exécutif, toute possibilité d’envisager le caractère criminogène d’une partie du « milieu » médiatico-politique - qui est à l’origine du questionnement populaire et partant du nôtre, est-il évacué si ce n’est pour sauvegarder la fiction d’un statu-quo purement « libre-arbitral » ? Cette théorie ne fait-elle pas écho sur un autre registre à l’intenable approche du « loup solitaire » (lonewolf) en matière terroriste transcontinental ?
Ce qui est criminogène en l’occurrence ce n’est pas - et cela vient mieux en le disant - telle ou telle personne non seulement en vertu de la présomption d’innocence mais aussi parce qu’il serait insupportable de vivre dans une suspicion permanente de tous vis-à-vis de tous que je laisse sans regret aux extémistes qui imaginent prospérer par nihilisme interposé ou une conception policière de l'histoire, sans compter que tirer sur l’ambulance n’a rien de glorieux, ni de Pirate, mais c’est bien le système qui l’est par ses manques propres et pour le dire simplement c’est la constitution du corps politique de la Républlque qui présente désormais des défauts.
C’est en cela cela que le « poison » est constitutionnel (ou dé-constituant) et c’est pourquoi il est responsable et citoyen de vouloir d’y remédier. Étant donné les effets constatés, il ne s’agit pas de casser ou de ravauder mais bien de refonder.
Devons-nous attendre que cette refondation intervienne après une catastrophe ou bien tirant les enseignements de l’histoire et du potentiel heureusement accumulé grâce à son étude nous déterminerons-nous a agir de manière préventive plutôt que curative ?
Le chantier est immense. Las, beaucoup d’ouvriers Pirates de ma connaissance sont déterminés à y œuvrer dans la mesure de leurs moyens. C'est le moment de le dire : le débat est ouvert !
Dans ses leçons, Alain Touraine expliquait naguère à ses étudiants comment le présidentialisme à la française, fruit de la constitution de 1958, avait accouché d’un bipartisme de fait malgré les apparences flatteuses d’un pluralisme « débridé ». Une sorte d’américanisation politicienne avant la lettre.
Avant lui, le Doyen Vedel, continuateur du rigoureux Doyen Houdiau, montrait comment la légitimité présidentielle obtenue à la sortie des urnes du scrutin universel direct uninominal (à deux tours) plaçait le pouvoir législatif sous la dépendance objective de l’exécutif dont le Président réserve au peuple la primeur de la confirmation de sa légitimité élective devant laquelle les chambres ne peuvent qu’obtempérer aux écart à cette norme près.
L’éminent constitutionnaliste complétait son exposé, frappé au coin du réalisme panoptique, concernant la fonction présidentielle, en soulignant que l’absence d’une séparation effective entre les pouvoirs s’aggravait de ce que le pouvoir judiciaire n’était pas constitué comme tel en France; puisque les dispositions adoptées par les auteurs de la constitution de 1958 l’avait réduit à n’être qu’une autorité.
Ces analyses, validés par les constitutionnalistes actuels, constituent le socle de l’analyse de Pierre Rosenvallon, professeur au Collège de france qui nous entraine plus loin en démontrant que le contrat républicain qui règle les rapports entre les gouvernants et le gouverné ou, pour être plus précis, les représentants et les représentés le fonde, en l’incarnant dans les institutions de la République en la personnes de ceux qui ont la charge de les faire fonctionner : gouvernants, représentants et juges.
En filigrane et sans solliciter l’auteur, qui aurait toute latitude de me démentir, ce pacte est donc par définition amendable et transformable. Et il est nécessaire qu’il le soit car sa fixité contrarierait la nécessaire fluence de la vie démocratique.
C’est précisément parce que la légitimité de l’amender, de la transformer, d’en changer les équilibres réside dans la souveraineté du peuple dont il représente en quelque sorte une épure qu’il s’avère nécessaire d’en tester et d’en vérifier la validité au fur et à mesure que les conditions de son exercice change. C’est d’ailleurs le rôle du Conseil constitutionnel de vérifier que la variabilité infinie de "l’évènement qui exige réponse", ne s’inscrive pas en contravention avec l’intangibilité principielle de ce même pacte républicain au moment il fait « socle » or ce conseil n’est pas une cour ; il lui manque donc la force contraignante de juger car un avis peut, même si cela n’est pas la règle, être ignoré ou dévoyé.
Dans le cas d’une re-fondation, il ne s’agit pas de convoquer la figure du « progrès » institutionnel, sur le modèle de celui de la science - ce qui en la matière n’aurait pas de sens - mais plutôt de questionner de manière attentive ce qui rend possible ou non son adaptation à la variabilité de l’environnement quand il devient patent que cette variabilité, avérée dans son actualisation politique et et sociale, engage la nature du pacte républicain et non plus seulement ses degrés.
L’état de la "gouvernance", mot substitué par la modernité à celui de gouvernement pour introduire à peu de frais la complexité sur le mode entrepreneurial qui n’y a pas forcément sa place, doit nous interroger sur ses liens avec le pacte républicain. Cet état réclame d’être questionné sans relâche se sorte à déceler le seuil au delà duquel les principes doivent être reformulés, aménagés, abandonnés ou changés pour être de nouveau acceptés par tous, une très large majorité tout au moins comme le substrat du lien politique et social. C’est l’enjeu de rendre « re-constituante » une assemblée tout en restant fidèle à l’esprit du fameux article 16 qui dénie le nom de République à un gouvernement dépourvu de constitution, encore faut-il que cette constitution assure sa propre légitimité à être perçue comme telle. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Qu’il nous soit permis d’en douter ne relève pas de l’outrage mais seulement de la conscience politique.
Or c’est la nature de ce lien sous-jacent et pourtant essentiel que pose crûment l’affaire Cahuzac, parmi d’autres, si nous ne désirons pas céder à l’émotion du « scoop ». Ce lien entrelace des conceptions qui rapprochent les citoyen-nes de nombreuses de valeurs comme l’idée qu’il-le se fait de la Justice. Si tous la désire, acceptons-en l’augure et le principe, ce sont bien ses modalités qui demeurent l’enjeu de sa constitutionnalisation : au travers de ce que sont effectivement sa puissance, la légitimité des décisions rendues, sa lisibilité, sa cohérence et son indépendance.
Nous avons tous lu, les analyses de psychologues qui présentent Jérôme Cahuzac, pour rester un instant sur ce cas emblématique du profond malaise populaire, comme l’incarnation de la figure de « l’enfant tout-puissant ».
Parmi les conceptions de la Justice, on peut s’en tenir à une sacralisation du libre-arbitre en état d’apesanteur social qui fait du délinquant l’unique déterminant et responsable de ses actes ou au contraire estimer que le corps social co-produit la délinquance d’un individu, y compris quand il en est la victime. Cette « co-production » n’implique ni confusion, ni dilution des responsabilités de l’auteur du délit mais interroge sur les limites de sa commission.
Entériner cette « co-productivité » est justement l’un des objectifs de la jurisprudence. Elle lui donne une traduction par l’atténuation de l’application des rigueurs de la loi en vertu des « circonstances atténuantes ». Il s’agit d’une option importante. Leur existence correspond à une forme de socialisation de délit dans le milieu dans lequel il a été commis alors perçu comme l’un de ses déterminants relatifs. Il ne s’agit pas donner un caractère collectif à la faute mais plutôt de déterminer en quoi le milieu est criminogène, en quoi l’immersion dans ce milieu atténue la responsabilité de l’auteur des faits. Comment se fait-il que dans l’affaire qui affecte l’un des membres du pouvoir exécutif, toute possibilité d’envisager le caractère criminogène d’une partie du « milieu » médiatico-politique - qui est à l’origine du questionnement populaire et partant du nôtre, est-il évacué si ce n’est pour sauvegarder la fiction d’un statu-quo purement « libre-arbitral » ? Cette théorie ne fait-elle pas écho sur un autre registre à l’intenable approche du « loup solitaire » (lonewolf) en matière terroriste transcontinental ?
Ce qui est criminogène en l’occurrence ce n’est pas - et cela vient mieux en le disant - telle ou telle personne non seulement en vertu de la présomption d’innocence mais aussi parce qu’il serait insupportable de vivre dans une suspicion permanente de tous vis-à-vis de tous que je laisse sans regret aux extémistes qui imaginent prospérer par nihilisme interposé ou une conception policière de l'histoire, sans compter que tirer sur l’ambulance n’a rien de glorieux, ni de Pirate, mais c’est bien le système qui l’est par ses manques propres et pour le dire simplement c’est la constitution du corps politique de la Républlque qui présente désormais des défauts.
C’est en cela cela que le « poison » est constitutionnel (ou dé-constituant) et c’est pourquoi il est responsable et citoyen de vouloir d’y remédier. Étant donné les effets constatés, il ne s’agit pas de casser ou de ravauder mais bien de refonder.
Devons-nous attendre que cette refondation intervienne après une catastrophe ou bien tirant les enseignements de l’histoire et du potentiel heureusement accumulé grâce à son étude nous déterminerons-nous a agir de manière préventive plutôt que curative ?
Le chantier est immense. Las, beaucoup d’ouvriers Pirates de ma connaissance sont déterminés à y œuvrer dans la mesure de leurs moyens. C'est le moment de le dire : le débat est ouvert !