Obsolète la réduction du temps de travail ?
Publié : mer. 31 oct. 2012, 21:47
Depuis plus de dix ans, la réduction du temps de travail a mauvaise presse (dans certains milieux).
Pourtant, un rapide survol des évolutions des soixante dernières années nous montre son utilité sociale, sinon sa nécessité impérieuse.
Entre 1950 et 2007, la durée annuelle moyenne du travail en Allemagne est passée de 2370 heures par salarié à 1432 heures.
Sur la même période, aux Etats-Unis, elle est passée de 2010 h. à 1785 h. ; au Royaume-Uni : de 2110 h. à 1607 h. ; au Japon : de 2080 à 1784 h.
En France, elle est quant à elle passée de 2230 h. à 1559 h., soit une baisse de 30,1 %.
"En près de 60 ans, la durée du travail a baissé d’environ 25 % sur un panel de dix pays ayant un PIB par habitant parmi les plus élevés." (http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1273#inter1)
Ceci s'est réalisé dans le même temps d'une croissance de la production de ces pays difficilement imaginable tellement elle a été importante(1), et ce malgré le ralentissement économique depuis les années 1970.
Cette réduction généralisée et non concertée a été permise en raison des incessants gains de productivité réalisés dans nos économies. En effet, produire plus efficacement autorise (au niveau micro-économique comme au niveau macro-économique) une diminution du volume de travail requis lorsque la hausse de la productivité est supérieure à celle de la production réalisée.
(La relation est toute mathématique : cm du Volume de travail annuel = cm de la Production annuelle / cm de la Productivité horaire, avec "cm" = coefficient multiplicateur. Si le numérateur croît moins vite que le dénominateur alors leur résultat diminue...
La variation du volume annuel de travail pouvant être décomposée en : cm du Nombre de travailleurs employés x cm du Nombre d'heures travaillées annuellement par chaque travailleur en moyenne, cela donne alors la relation suivante plus détaillée : cm du Nombre d'heures travaillées annuellement par travailleur = cm de la Production / (cm de la Productivité horaire x cm Nombre de travailleurs). Ou en inversant simplement les termes de la relation : cm du Nombre de travailleurs = cm de la Production / (cm de la Productivité horaire x cm Nombre d'heures travaillées par travailleur).
Où l'on voit donc qu'à variations de la productivité et de la production données, le nombre de travailleurs requis par l'économie dépend aussi du nombre d'heures effectuées par chacun, dans un sens inverse. Ce qui signifie qu'une baisse, par exemple, du temps annuel de travail de chacun conduit dans ces conditions à une hausse du volume d'emploi.
En résumé, l'augmentation du volume d'emploi dépend d'une variation négative de la durée annuelle du travail et/ou d'un écart positif entre production et productivité. Or, cet écart est loin d'être positif dans de nombreux secteurs économiques, notamment ceux soumis à la concurrence étrangère, telle l'industrie par exemple. La pression sur les prix couplée à une volonté de ne point (trop) rogner les marges bénéficiaires conduit nombre de dirigeants d'entreprises à mettre prioritairement l'accent sur les gains de productivité pour maintenir leur compétitivité-prix, d'où une productivité forte et pénalisante pour l'emploi.)
Ainsi, en France entre 1950 et 2007, la valeur ajoutée (hors immobilier) a crû de 3,5 % en moyenne par an, tandis que la productivité horaire augmentait de 3,7 %, soit 0,2 point de plus par an en moyenne. D'où une baisse logique du volume de travail nécessité par l'économie. Or l'on a pu constater sur la même période une augmentation annuelle de l'emploi de 0,5 % en moyenne. La cause cachée ? Une baisse de la durée annuelle du travail de 0,7 % par an en moyenne... (http://www.insee.fr/fr/themes/document. ... _id=ip1201)
Mais la réduction du temps de travail que l'on constate dans les économies les plus développées ne s'est pas effectuée nécessairement sous l'action (le "joug" ?) du pouvoir politique.
En réalité, elle a été essentiellement mise en oeuvre par les entreprises elles-mêmes. Donc d'une manière très inégalitaire entre les travailleurs (à la fois en termes de temps et de revenus).
Depuis les années 1970, emplois à temps partiel, chômage partiel, CDD (chômage récurrent), etc. sont en effet les formes multiples qu'a prise une part importante de la RTT pour les salariés dans la plupart de nos économies. Formes autrement désignées sous un (plus) joli nom : flexibilité du travail.
En conséquence, en 2011, les travailleurs à temps partiel (et à revenu partiel) représentaient 25,7 % de l'emploi total en Allemagne (nous ne rentrons pas ici dans la considération de savoir si ce temps partiel est voulu ou subi, et dans quelle mesure le voulu est influencé par certaines idées dominantes). Au Royaume-Uni : 25,5 %. Et en France : 17,6 %. (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPTEF03204®_id=98)
En France en 2011 toujours, la durée hebdomadaire moyenne du travail des salariés à temps complet était de 39,5 heures par semaine (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPTEF03204®_id=98). Et 2 612 000 personnes étaient comptabilisées-considérées comme chômeurs (selon les critères du BIT). (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon03169)
Comment ne pas voir dans ce constat l'effet d'une répartition pour le moins très déséquilibrée du volume global de travail ? Avec des salariés de plus en plus nombreux en sous-emploi et des personnes désirant travailler et privées complètement d'emploi, évaluées entre deux et trois millions d'invidus (selon les méthodes de comptabilisation), co-existant avec des salariés à temps plein dépassant allègrement (et légalement) les 35 heures ?
Qui dirait alors que nos économies fonctionnent au mieux pour le mieux ?
Peut-on s'en satisfaire ?
Oui, si l'on estime que l'économie doit fonctionner pour elle-même, de manière désencastrée.
Non, si l'on pense, comme on l'a fait majoritairement pendant des siècles sinon des millénaires, que l'économie n'a pas à s'autonomiser de la direction de la société... Que le but de l'économie est avant tout d'améliorer les conditions de vie de chaque membre de la société (avec une répartition en fonction de tels ou tels critères : "mérite", effort, capacités, existence même : cf. le revenu d'existence). Mais qu'en est-il de ce but dans des sociétés où le nombre de places productives est structurellement inférieur au nombre de personnes voulant les occuper ? Doit-on le passer par pertes et profits ?
En ces temps de hausse du chômage et de relance de la critique contre les 35 h., la question se pose de nouveau avec force.
La RTT ne doit-elle pas se poursuivre, au lieu d'être contrecarrée ? Et d'une manière plus équilibrée (au sens d'égalitaire) ?
Je (re)lance le débat.
(1) A titre d'exemple, le PIB en valeur (base 2005) en France est ainsi passé de … 15,3 Mds d'euros en 1950 à ... 1996,6 Mds d'euros en 2011. Soit une augmentation de la création annuelle de valeur ajoutée de 12 949,7 % entre 1950 et 2011 ! (http://www.insee.fr/fr/themes/comptes-n ... xml=t_1101)
Pourtant, un rapide survol des évolutions des soixante dernières années nous montre son utilité sociale, sinon sa nécessité impérieuse.
Entre 1950 et 2007, la durée annuelle moyenne du travail en Allemagne est passée de 2370 heures par salarié à 1432 heures.
Sur la même période, aux Etats-Unis, elle est passée de 2010 h. à 1785 h. ; au Royaume-Uni : de 2110 h. à 1607 h. ; au Japon : de 2080 à 1784 h.
En France, elle est quant à elle passée de 2230 h. à 1559 h., soit une baisse de 30,1 %.
"En près de 60 ans, la durée du travail a baissé d’environ 25 % sur un panel de dix pays ayant un PIB par habitant parmi les plus élevés." (http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1273#inter1)
Ceci s'est réalisé dans le même temps d'une croissance de la production de ces pays difficilement imaginable tellement elle a été importante(1), et ce malgré le ralentissement économique depuis les années 1970.
Cette réduction généralisée et non concertée a été permise en raison des incessants gains de productivité réalisés dans nos économies. En effet, produire plus efficacement autorise (au niveau micro-économique comme au niveau macro-économique) une diminution du volume de travail requis lorsque la hausse de la productivité est supérieure à celle de la production réalisée.
(La relation est toute mathématique : cm du Volume de travail annuel = cm de la Production annuelle / cm de la Productivité horaire, avec "cm" = coefficient multiplicateur. Si le numérateur croît moins vite que le dénominateur alors leur résultat diminue...
La variation du volume annuel de travail pouvant être décomposée en : cm du Nombre de travailleurs employés x cm du Nombre d'heures travaillées annuellement par chaque travailleur en moyenne, cela donne alors la relation suivante plus détaillée : cm du Nombre d'heures travaillées annuellement par travailleur = cm de la Production / (cm de la Productivité horaire x cm Nombre de travailleurs). Ou en inversant simplement les termes de la relation : cm du Nombre de travailleurs = cm de la Production / (cm de la Productivité horaire x cm Nombre d'heures travaillées par travailleur).
Où l'on voit donc qu'à variations de la productivité et de la production données, le nombre de travailleurs requis par l'économie dépend aussi du nombre d'heures effectuées par chacun, dans un sens inverse. Ce qui signifie qu'une baisse, par exemple, du temps annuel de travail de chacun conduit dans ces conditions à une hausse du volume d'emploi.
En résumé, l'augmentation du volume d'emploi dépend d'une variation négative de la durée annuelle du travail et/ou d'un écart positif entre production et productivité. Or, cet écart est loin d'être positif dans de nombreux secteurs économiques, notamment ceux soumis à la concurrence étrangère, telle l'industrie par exemple. La pression sur les prix couplée à une volonté de ne point (trop) rogner les marges bénéficiaires conduit nombre de dirigeants d'entreprises à mettre prioritairement l'accent sur les gains de productivité pour maintenir leur compétitivité-prix, d'où une productivité forte et pénalisante pour l'emploi.)
Ainsi, en France entre 1950 et 2007, la valeur ajoutée (hors immobilier) a crû de 3,5 % en moyenne par an, tandis que la productivité horaire augmentait de 3,7 %, soit 0,2 point de plus par an en moyenne. D'où une baisse logique du volume de travail nécessité par l'économie. Or l'on a pu constater sur la même période une augmentation annuelle de l'emploi de 0,5 % en moyenne. La cause cachée ? Une baisse de la durée annuelle du travail de 0,7 % par an en moyenne... (http://www.insee.fr/fr/themes/document. ... _id=ip1201)
Mais la réduction du temps de travail que l'on constate dans les économies les plus développées ne s'est pas effectuée nécessairement sous l'action (le "joug" ?) du pouvoir politique.
En réalité, elle a été essentiellement mise en oeuvre par les entreprises elles-mêmes. Donc d'une manière très inégalitaire entre les travailleurs (à la fois en termes de temps et de revenus).
Depuis les années 1970, emplois à temps partiel, chômage partiel, CDD (chômage récurrent), etc. sont en effet les formes multiples qu'a prise une part importante de la RTT pour les salariés dans la plupart de nos économies. Formes autrement désignées sous un (plus) joli nom : flexibilité du travail.
En conséquence, en 2011, les travailleurs à temps partiel (et à revenu partiel) représentaient 25,7 % de l'emploi total en Allemagne (nous ne rentrons pas ici dans la considération de savoir si ce temps partiel est voulu ou subi, et dans quelle mesure le voulu est influencé par certaines idées dominantes). Au Royaume-Uni : 25,5 %. Et en France : 17,6 %. (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPTEF03204®_id=98)
En France en 2011 toujours, la durée hebdomadaire moyenne du travail des salariés à temps complet était de 39,5 heures par semaine (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPTEF03204®_id=98). Et 2 612 000 personnes étaient comptabilisées-considérées comme chômeurs (selon les critères du BIT). (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon03169)
Comment ne pas voir dans ce constat l'effet d'une répartition pour le moins très déséquilibrée du volume global de travail ? Avec des salariés de plus en plus nombreux en sous-emploi et des personnes désirant travailler et privées complètement d'emploi, évaluées entre deux et trois millions d'invidus (selon les méthodes de comptabilisation), co-existant avec des salariés à temps plein dépassant allègrement (et légalement) les 35 heures ?
Qui dirait alors que nos économies fonctionnent au mieux pour le mieux ?
Peut-on s'en satisfaire ?
Oui, si l'on estime que l'économie doit fonctionner pour elle-même, de manière désencastrée.
Non, si l'on pense, comme on l'a fait majoritairement pendant des siècles sinon des millénaires, que l'économie n'a pas à s'autonomiser de la direction de la société... Que le but de l'économie est avant tout d'améliorer les conditions de vie de chaque membre de la société (avec une répartition en fonction de tels ou tels critères : "mérite", effort, capacités, existence même : cf. le revenu d'existence). Mais qu'en est-il de ce but dans des sociétés où le nombre de places productives est structurellement inférieur au nombre de personnes voulant les occuper ? Doit-on le passer par pertes et profits ?
En ces temps de hausse du chômage et de relance de la critique contre les 35 h., la question se pose de nouveau avec force.
La RTT ne doit-elle pas se poursuivre, au lieu d'être contrecarrée ? Et d'une manière plus équilibrée (au sens d'égalitaire) ?
Je (re)lance le débat.
(1) A titre d'exemple, le PIB en valeur (base 2005) en France est ainsi passé de … 15,3 Mds d'euros en 1950 à ... 1996,6 Mds d'euros en 2011. Soit une augmentation de la création annuelle de valeur ajoutée de 12 949,7 % entre 1950 et 2011 ! (http://www.insee.fr/fr/themes/comptes-n ... xml=t_1101)