Le suffrage universel est-il nécessaire à la démocratie ?
Publié : mer. 26 sept. 2012, 15:29
Bonjour tout le monde,
[je cherchais la rubrique "Débats politiques et idéologiques" sur ce forum, mais apparemment ça n'existe plus.]
Je me disais qu'on pourrait essayer d'avoir une discussion de fond sur le thème du suffrage universel. Cette idée m'est venue en lisant une proposition d'amendement aux statuts qui vise à abolir le suffrage universel direct au sein du Parti Pirate. Ce n'est pas une mauvaise idée en soi, d'ailleurs : après tout, l'organisation interne du PP n'est pas _obligée_ d'être exemplaire et hyper-démocratique ; l'essentiel est que le Parti survive et progresse.
Mais _si_ nous voulons imaginer des modèles d'organisation sociale plus démocratique, y compris à l'intérieur du Parti Pirate, alors que faisons-nous du suffrage universel ?
Un prérequis obligatoire ?
Le suffrage universel direct a été l'une des conquêtes politiques les plus importantes de ces trois derniers siècles (à la louche). Le principe "un citoyen = une voix", quel que soit son rang, son origine sociale, sa fortune, ses titres de noblesse ou (depuis 1945) son sexe, est un marqueur très fort de l’idéologie républicaine.
Au contraire, le principe qui consiste à dire que non, tous les êtres humains ne sont pas égaux en droit et que seuls ceux qui comptent (ou ceux qui savent de quoi ils parlent) devraient avoir le droit de vote, a été le fondement de sociétés inégalitaires (par exemple le suffrage censitaire sous la Restauration).
Aujourd'hui encore, des discours considérant la démocratie comme une chose un peu stupide, et le peuple comme un grand enfant un peu bête ou dangereux, ne sont pas rares : j'en veux pour exemple les réactions de "la" classe politique occidentale à chaque fois qu'un pays arabe élit un gouvernement religieux.
Un gadget illusoire ?
Ce qui précède, néanmoins, peu paraître un peu bisounours si l'on y réfléchit plus avant. Nous savons tous combien le système politique actuel, même s'il est en apparence fondé sur une légitimité démocratique due au suffrage universel direct, est en fait complètement pipé. (Comme le dit le proverbe, "élections, piège à cons".) Les citoyens n'ont le choix qu'entre des candidats issus des classes dominantes, de grands partis qui promeuvent peu ou prou le même corpus idéologique, et des visions politiques qui ne poursuivent pas l'intérêt général mais la préservation de rapports de domination déjà existants. (Je résume à la truelle mais je pense que ça parlera à beaucoup d'entre nous.)
Dès lors on peut se demander si le suffrage universel n'est pas, en définitive, un instrument de diversion : "comment, vous n'êtes pas contents de la politique du gouvernement ? Mais c'est _vous_ qui l'avez élu !" -- ou en d'autres termes, comme on dit parfois au Parti Pirate : TGCD (ta gueule, c'est démocratique).
Une porte ouverte vers de très mauvais choix ?
Il y a pire : _même_ si le suffrage universel fonctionnait comme il est censé fonctionner, ne risquerait-on pas tout de même de se retrouver avec des situations épouvantables et scandaleuses ? Pour prendre un exemple caricatural : nous sommes (en tout cas je l'espère) une très large majorité dans ce pays à considérer que les slips léopard sont la chose la plus horrible du monde. Cela veut-il dire que nous aurions le droit, légitimement, de foutre en prison toutes les personnes qui portent un slip léopard ?
C'est le syndrôme de la "dictature de la majorité", que plusieurs personnes (notamment Maelgar, je crois) ont présenté ailleurs sur ce forum. Un autre exemple fréquemment cité est l'abolition de la peine de mort : à l'époque où Badinter a fait passer cette mesure, la population était très majoritairement contre. Aujourd'hui il nous semble (pour la plupart) élémentaire et légitime que la peine de mort n'existe plus, mais penserions-nous ainsi si le législateur n'avait pas pris les devants il y a trente ans ?
Et que proposer d'autre ?
Le suffrage universel n'est pas une formule magique. Mais, il n'existe _pas_ de formule magique. Même le mot "démocratie" ne veut pas dire que tout le monde sera heureux demain.
De même, être non-démocrate n'est pas nécessairement synonyme de dictature ; ainsi le monde des logiciels Libres est anti-démocrate au possible mais repose sur un système qui a fait ses preuves et permet l'épanouissement de beaucoup de gens (notamment en vertu du principe STPCTKF, "si t'es pas content t'as qu'à forker", que nous connaissons bien au Parti Pirate).
Pour autant, sommes-nous prêts, à l'échelle d'une société entière (ou même d'une micro-société comme celle que nous connaissons ici), à tourner le dos au suffrage universel ? (Qu'il soit direct, indirect ou "liquide", qu'il soutienne un processus de décisions délégatives ou référendaires.)
Voilà, à vous les studios.
[je cherchais la rubrique "Débats politiques et idéologiques" sur ce forum, mais apparemment ça n'existe plus.]
Je me disais qu'on pourrait essayer d'avoir une discussion de fond sur le thème du suffrage universel. Cette idée m'est venue en lisant une proposition d'amendement aux statuts qui vise à abolir le suffrage universel direct au sein du Parti Pirate. Ce n'est pas une mauvaise idée en soi, d'ailleurs : après tout, l'organisation interne du PP n'est pas _obligée_ d'être exemplaire et hyper-démocratique ; l'essentiel est que le Parti survive et progresse.
Mais _si_ nous voulons imaginer des modèles d'organisation sociale plus démocratique, y compris à l'intérieur du Parti Pirate, alors que faisons-nous du suffrage universel ?
Un prérequis obligatoire ?
Le suffrage universel direct a été l'une des conquêtes politiques les plus importantes de ces trois derniers siècles (à la louche). Le principe "un citoyen = une voix", quel que soit son rang, son origine sociale, sa fortune, ses titres de noblesse ou (depuis 1945) son sexe, est un marqueur très fort de l’idéologie républicaine.
Au contraire, le principe qui consiste à dire que non, tous les êtres humains ne sont pas égaux en droit et que seuls ceux qui comptent (ou ceux qui savent de quoi ils parlent) devraient avoir le droit de vote, a été le fondement de sociétés inégalitaires (par exemple le suffrage censitaire sous la Restauration).
Aujourd'hui encore, des discours considérant la démocratie comme une chose un peu stupide, et le peuple comme un grand enfant un peu bête ou dangereux, ne sont pas rares : j'en veux pour exemple les réactions de "la" classe politique occidentale à chaque fois qu'un pays arabe élit un gouvernement religieux.
Un gadget illusoire ?
Ce qui précède, néanmoins, peu paraître un peu bisounours si l'on y réfléchit plus avant. Nous savons tous combien le système politique actuel, même s'il est en apparence fondé sur une légitimité démocratique due au suffrage universel direct, est en fait complètement pipé. (Comme le dit le proverbe, "élections, piège à cons".) Les citoyens n'ont le choix qu'entre des candidats issus des classes dominantes, de grands partis qui promeuvent peu ou prou le même corpus idéologique, et des visions politiques qui ne poursuivent pas l'intérêt général mais la préservation de rapports de domination déjà existants. (Je résume à la truelle mais je pense que ça parlera à beaucoup d'entre nous.)
Dès lors on peut se demander si le suffrage universel n'est pas, en définitive, un instrument de diversion : "comment, vous n'êtes pas contents de la politique du gouvernement ? Mais c'est _vous_ qui l'avez élu !" -- ou en d'autres termes, comme on dit parfois au Parti Pirate : TGCD (ta gueule, c'est démocratique).
Une porte ouverte vers de très mauvais choix ?
Il y a pire : _même_ si le suffrage universel fonctionnait comme il est censé fonctionner, ne risquerait-on pas tout de même de se retrouver avec des situations épouvantables et scandaleuses ? Pour prendre un exemple caricatural : nous sommes (en tout cas je l'espère) une très large majorité dans ce pays à considérer que les slips léopard sont la chose la plus horrible du monde. Cela veut-il dire que nous aurions le droit, légitimement, de foutre en prison toutes les personnes qui portent un slip léopard ?
C'est le syndrôme de la "dictature de la majorité", que plusieurs personnes (notamment Maelgar, je crois) ont présenté ailleurs sur ce forum. Un autre exemple fréquemment cité est l'abolition de la peine de mort : à l'époque où Badinter a fait passer cette mesure, la population était très majoritairement contre. Aujourd'hui il nous semble (pour la plupart) élémentaire et légitime que la peine de mort n'existe plus, mais penserions-nous ainsi si le législateur n'avait pas pris les devants il y a trente ans ?
Et que proposer d'autre ?
Le suffrage universel n'est pas une formule magique. Mais, il n'existe _pas_ de formule magique. Même le mot "démocratie" ne veut pas dire que tout le monde sera heureux demain.
De même, être non-démocrate n'est pas nécessairement synonyme de dictature ; ainsi le monde des logiciels Libres est anti-démocrate au possible mais repose sur un système qui a fait ses preuves et permet l'épanouissement de beaucoup de gens (notamment en vertu du principe STPCTKF, "si t'es pas content t'as qu'à forker", que nous connaissons bien au Parti Pirate).
Pour autant, sommes-nous prêts, à l'échelle d'une société entière (ou même d'une micro-société comme celle que nous connaissons ici), à tourner le dos au suffrage universel ? (Qu'il soit direct, indirect ou "liquide", qu'il soutienne un processus de décisions délégatives ou référendaires.)
Voilà, à vous les studios.