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Lully Vs Pascal Nègre : contre les industriels du dimanche.

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El Boucanier
Moussaillon
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Inscription : mar. 15 juin 2010, 08:34

Lully Vs Pascal Nègre : contre les industriels du dimanche.

Messagepar El Boucanier » ven. 13 mai 2011, 11:54

Voila, un texte qui doit être publié sur mon blog... sitôt que la plateforme Blogger aura fini sa maintenance qui dure depuis 2 jours.
Je le mets ici, d'abord parce que je m'suis bien amusé à l'écrire et que du coup j'ai trop hâte de le partager.

Pour en Finir avec les Industriels du Dimanche


Cette lettre ouverte de Monsieur Jean Baptiste Lully à l’attention de Monsieur Pascal Nègre est un article-fiction, qui aurait sans doute pu paraître dans “La Gazette du Roy”, (si celle-ci avait existé.) L’objectif de ce petit exercice naïf est de démontrer que certains arguments, qui sont la base de la doxa anti-téléchargement, sont parfaitement abscons - si bien qu’on peut les retourner ou les transposer, comme ici, contre l’industrie de l’enregistrement.




Monsieur Nègre,

Le coeur de mon métier est de composer de la musique. Je compose et mets en scène des ballets, des comédie-ballets et des tragédies lyriques, je le fais pour un public de mélomanes, et ainsi j’offre à des musiciens, chanteurs et danseurs de talents les moyens de subsister tout en exerçant leur art. L’ensemble de cette alchimie gravite autour d’un facteur essentiel : l’amour de la culture. Ainsi nous vivons à travers l’art, et en retour, l’art vit-il à travers nous. Il en est ainsi depuis des temps immémoriaux, et cette juste alchimie que nous vivons est aussi celle que connaissent les artistes plus modestes qui animent joyeusement les foires et les marchés de France. Dans toute la société, elle fonctionne : les mélomanes sont heureux de nous entendre, nous sommes heureux de pratiquer notre art. Les mélomanes sont heureux de nous subventionner, nous sommes heureux de pouvoir subsister.

Cette alchimie heureuse, monsieur, votre volonté de mercantiliser notre action en un support enregistré qui puisse se produire sans nous ad vitam vient la mettre en péril. En vérité, si vous persistez dans votre dessein, je vous prédis simplement la fin de la création, et la mort de la culture, ni plus, ni moins ! Car toute votre perfidie ne peut contredire le bon sens : enregistrer une œuvre sur un disque vendu quelques deniers, et permettre au public d’entendre à loisir et autant qu’il lui plaît le fruit de notre labeur, sans plus rien dépenser jamais à notre endroit, voila une utopie qui, certes, plaira au public. Mais nous, comment vivrons-nous ? Car, monsieur Nègre, sous vos airs de bon samaritain, apôtre de la démocratisation de l’art et des expressions, se cache l’avide industriel ! Un homme de finance inconséquent, bonimenteur, prêt à flatter l’auditeur pour quelques malheureux sous. Mais nous, artistes, danseurs, compositeurs - si nous mourrons de faim, c’est la musique qui meurt de faim !

Vous êtes, Monsieur Nègre, pour le verbe et la science du langage un perfide manipulateur, un séducteur hors pair - du moins pour ceux qui trouvent leur intérêt à vous succomber, c’est à dire quelques mélomanes sans le sous (ni plus de sous d’ailleurs qu’ils n’ont de scrupules lorsqu’il s’agit de voler notre art !) des malheureux complices donc, à qui vous faites espérer qu’ils puissent, à loisir et sans effort, jouir éternellement de l’art sans en payer le prix véritable. Honte à vous, qui, sur la misère de ceux-ci, vivez de promesses intenables, au risque de plonger les acteurs de la création eux-même dans une misère plus sombre encore ! Mais les mathématiques, monsieur, cette science du réelle qu’on ne peut tordre en fable et poésie, ces mathématiques démasquent sans peine les arguments fallacieux qui fondent votre raisonnement. Et si le public aimerait croire en votre modèle fou, il sait pourtant compter, et ne peut se prétendre dupe de la chose - il sait bien en achetant ces disques, qu’il se rend complice du crime à notre endroit que vous proposez d’organiser. Par votre faute, les opéras seront déserts chaque jours ; par votre faute les théâtres se videront irrémédiablement, et les marchés seront tristes car vos transistors que l’on achète qu’une seule fois pour entendre la musique éternellement, ces transistors chasseront les fragiles artistes de rue, qui eux, doivent chaque jours manger. Vous le savez, l’art à un prix et se prix se doit payer chaque fois que l’art se produit ! Enfin, qui donc, heureux propriétaire d’un disque, ira encore en sus voire les opéras et les ballets, puisqu’il peut les entendre chez lui à tout heure qu’il lui plaît sans plus payer ? Et c’est aussi, monsieur, pour ces troubadours qui ont fait le choix de sacrifier leur vie et leur confort à une cause noble, celle de divertir et de plaire aux oreilles de leurs contemporains, et qui vivent leur expression dans le dénuement, que je veux d’abord me battre. Car ce ne sont pas les très maigres royautés que vous consentez laisser à nous, créateurs, sur chacun de ces disques qui ne se peuvent vendre qu’une seule et unique fois (et qui, soyez-en certain, sera transmis dans les génération - s’il n’est pas même l’objet d’un marché noir de l’occasion qui même à votre appétit vénal échappera !) - ce n’est donc pas cet obole, dis-je, qui donnera le pain à tout un orchestre. Imaginez-vous que vingt-quatre musiciens, par exemple, puissent chacun vivre toute une vie d’avoir représenté une seule et unique fois leur talent, fusse dans l’un de vos diaboliques studios d’enregistrement ? C’est ce que vous lui proposez, c’est l’objet de votre folie. Personne ne se laisse tromper par vos arguments.

Et lors que j’entends, de surcroît, que sur l’un de vos disques, vendu vingt pièces, vous ne consentez à n’en remettre que quatre misérables aux artisans de la musique, et qu’ils doivent se partager encore pour tout l’orchestre et pour le compositeurs : ce cynisme et ce mépris à l’endroit des créateurs de notre pays est à la limite de l’affront, monsieur Nègre, et devrait vous faire rougir si vous êtiez l’honnête homme que vous prétendez être ! Il s’agit, vraiment, des propos les plus scandaleux qu’il m’ait été donné à ouïre. Nul doute que vous vous soyez inspiré lourdement du Prince de Machiavel, sans payer les royautés ni citer vos source d’inspirations.

L’art se remets à peine, et difficilement, du coup terrible que lui porta l’édition des partitions, contre lequel déjà je vous mettais en garde, à juste titre : par votre faute aujourd’hui, et tel que je le prophétisais, chacun peut, avec un simple instrument et quelques connaissances basiques, rejouer à loisir nos œuvres et capter l’or qui reviendrait au compositeur. Si je n’avais alerté l’opinion, et si je n’avais su convaincre de la nécessité de mettre en place une Dîme sur l’Enregistrement Pérenne des Arts, cette redevance salutaire sur la vente du papier, du parchemins, des tissus et des textiles, afin de palier le manque d’argent provoqué par cette autre utopie et ainsi financer la création, il n’y aurait sans doute en France pas un opéra nouveau depuis cette funeste invention ! Exsangue, notre art ne saura se relever de ce second coup de poignard que vous, monsieur Nègre, promettez désormais de lui infliger.

Que le Roy, dans sa grande clairvoyance, ait su réagir sur mon conseil, et propose la création d’un corps de fantassins chargés d’appliquer la riposte graduée au moins à ceux qui écoutent ces disques tout en refusant de nous envoyer l’obole à chaque fois qu’ils l’écoutent - c’est une victoire pour la culture qui gagne un peu de souffle. Par bonheur, ces troupes et leurs gourdins savent dissuader les quelques auditeurs du dimanche qui ne savent pas baisser le son de leur transistor, et diffusent dans tout le bourg et à des gens qui n’achètent pas même de disque, ceux la qui impunément jouissent de la musique sans payer plutôt que de sécuriser leurs oreilles - ces musiques et ces mélodies qui nous sont spoliées ! J’apprends ce matin que trois gredins ont dores et déjà été rappelés à l’ordre sur les sept mois d’exercice par nos fiers fantassins, et que sur ces trois hommes, un seul ait connu la seconde étape et ait été roué de coups. Preuve que la pédagogie fonctionne, et sans doute n’auront nous pas à mettre en pratique la troisième phase qui consiste à confisquer les oreilles de ces bandits.

De grâce, monsieur Nègre, si vous êtes honnête, entendez raison ; et si vous ne l’êtes pas, ayez la grandeur d’âme d’épargner les générations à venir qui, par votre faute, seront privés d’art. il vous revient de mettre un terme à cette folie au plus vite, en renonçant à votre dessein, dis-je. Les créateurs de ce pays vous remercieront de les avoir épargnés.

Jean Baptiste Lully

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flu-flu
Modérateur
Messages : 359
Inscription : sam. 13 févr. 2010, 13:07

Re: Lully Vs Pascal Nègre : contre les industriels du dimanche.

Messagepar flu-flu » ven. 13 mai 2011, 18:24

Bravo !
clap, clap, clap, clap clap...

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harpalos
Terreur des océans
Messages : 2665
Inscription : mer. 24 mars 2010, 22:35
Localisation : IdF

Re: Lully Vs Pascal Nègre : contre les industriels du dimanche.

Messagepar harpalos » lun. 16 mai 2011, 00:13

Excellent
Félicitation.

Zest : fais chauffer le propulseur twitter.
Ce sont des notions importantes ; une fois acquises, ils s'en serviront toute leur vie: finir son travail ; respecter le travail des autres ; suivre une consigne ; régler les conflits sans se battre... Ce sont des apprentissages que nous enseignons à nos élèves, et lorsqu'ils les maîtrisent, je leur donne une gommette. -- Édith, directrice d'école maternelle.

"Je ne suis pas d'accord avec votre projet de bruler ce livre ou ce drapeau, mais je me battrai pour votre droit de le faire" - Voltaire


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