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[L'Express] Entretien avec Louis Pouzin

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yadlajoie
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[L'Express] Entretien avec Louis Pouzin

Messagepar yadlajoie » jeu. 05 nov. 2015, 14:35

À chaque acte terroriste, des lois sécuritaires sont votées et Internet se retrouve au cœur des débats en tant que moyen de communication, mais aussi de recrutement, des djihadistes. Après les attentats de Charlie, la France suit cette voie. Cela vous inquiète-t-il ?
Les Etats-Unis ont été pris d’une paranoïa sécuritaire après les événements du 11 septembre, suscitant l’émergence d’une industrialisation de la surveillance de masse sous l’ère de George W. Bush. Barack Obama n’a fait que légaliser, a posteriori, ce qu’a mis sur pied son prédécesseur sans l’intervention des juges. Tous les services de renseignement de chaque pays échangent des informations depuis bien longtemps. Ils peuvent aussi en garder certaines pour eux, ou encore en transmettre des fausses. Ce sont de vieux procédés dont l’origine remonte à la Seconde Guerre mondiale. Mais cela finit par être aberrant dès lors que les enregistrements deviennent systématiques et massifs, prélude à une société totalitaire. Quand un gouvernement est capable de tout savoir, plus personne n’ose rien dire. Déjà, au sein même de l’agence de sécurité américaine, la NSA, des personnes utilisaient ce pouvoir pour surveiller leurs conjoints, leurs amis, leurs enfants, leurs collègues. L’étape suivante consiste à faire commerce de ces informations. Bien évidemment, les dirigeants vont renforcer les contrôles pour éviter ce genre de dérive, mais, dès que 2 000 à 5 000 personnes ont accès à ces éléments, les fuites se multiplient et il devient compliqué de tout maîtriser. A la fin, tout le monde a peur de tout le monde, et la légitimité des gouvernants s’effondre. Car les élus sont potentiellement menacés. On le sait bien, tout politicien a des choses répréhensibles à cacher, et chacun d’eux devra obéir à des consignes, sous peine de voir ces informations déplaisantes divulguées au grand public. En suivant cette logique implacable, on aboutit à la fin de la démocratie et à la naissance de la Stasi.

Mais nous n’en sommes pas là...
La NSA sait aussi ce qui se passe en France et peut échanger avec les autorités hexagonales les informations collectées. Pour rester dans la légalité, les services de renseignement n’écoutent pas la population de leur pays. Afin de contourner ce problème, ils s’échangent les données amassées par des services étrangers sur leurs propres sols. La France y participe. Bien entendu, elle ne peut aller aussi loin que la NSA, car elle ne dispose pas des mêmes ressources financières.

Cette surveillance permet-elle de lutter efficacement contre le terrorisme ?
Non. Les terroristes n’ont rien à perdre, toujours prêts à donner leur vie pour leur cause. On ne peut rien faire contre cela. Que ce soit les carnages survenus aux Etats-Unis ou la tuerie de Charlie Hebdo en France, dans tous les cas les services de renseignement disposaient des éléments nécessaires pour agir. Les personnes étaient déjà sous surveillance et cela n’a rien empêché du tout. Les suspects se comptent par milliers dans un pays, il est donc impossible de tous les suivre à la trace, et un minimum d’entre eux finit par passer au travers des mailles du filet. Ensuite, les actes de ces « martyrs » sont médiatisés pour inciter d’autres à en faire autant.

Justement, Internet est l’un des modes de recrutement des terroristes. Dès lors, n’est-il pas pertinent de prendre des mesures sécuritaires ?
Pour éviter les dérives, il faut limiter la surveillance aux domaines strictement nécessaires. Le téléphone a toujours été mis sur écoute, le courrier ouvert, mais, chaque fois, sous l’autorité d’un juge, dans des conditions définies et bien précises. Sans cette digue, tous les abus sont permis.

Visez-vous la nouvelle loi française permettant, sans intervention du juge, la coupure de l’accès aux sites Internet faisant l’apologie du terrorisme ?
Oui, car elle n’est pas très efficace. À l’image des barrages de police sur les routes, que l’on peut contourner, il est aisé de faire de même sur Internet, avec un minimum d’organisation. Dans ce cadre aussi, le juge disparaît alors même qu’il pose des limites et que ses décisions sont connues de tous, soumises au jugement des citoyens. Bloquer la diffusion de contenus est donc un leurre. Nul ne peut empêcher la circulation de clefs USB chargées de vidéos. On peut limiter la propagation d’informations gênantes, restreindre leur volume, punir les contrevenants, mais il est impossible de bannir totalement leur diffusion. Les moyens existants sont bien trop puissants. Toute cette gesticulation politique ne vise qu’à rassurer le peuple. Si on protège les écoles,les synagogues, c’est pour cette même raison, mais les policiers en faction ne peuvent rien empêcher.

Les régimes démocratiques veulent surveiller Internet pour des questions de sécurité et les dictatures pour maîtriser leur peuple. Cette tentation totalitaire est-elle inéluctable ?
Au bout du compte, il s’agit toujours de contrôler la population. Seul le langage politique change. En Chine ou dans nombre de pays arabes, certains interdits peuvent être acceptés par la population, car elle a été intoxiquée par un discours politique ou religieux. Dans le cas des démocraties, on cherchera davantage à mettre en avant la violation de règles ou la mise en évidence de liens avec des organisations sulfureuses pour rendre un internaute suspect.

Ce contrôle d’Internet grâce à la surveillance de masse ne conduit-il pas à la paranoïa des citoyens ?
Certainement, une forme de paranoïa s’installe. On peut se dire que tous les autres sont fous, pour autant nous devons vivre au milieu de ces fous et nous voilà obligés de nous comporter comme tels. L’état de développement des technologies permet d’aller très loin et l’escalade dans la surveillance entre les pays existe, comme ce fut le cas dans la course aux armements. Il y a toujours une période durant laquelle une nation possède une avance technologique, avant que les autres ne la rattrapent. Si on veut en limiter l’impact, les citoyens doivent rendre leurs communications illisibles aux agences de renseignements grâce au chiffrement.

Effectivement, mais Gilles de Kerchove, coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, et le Premier ministre britannique, David Cameron, militent justement pour la fin du chiffrement. Cela vous paraît-il opportun ?
Les fournisseurs de services comme Google, Facebook ou Apple s’y opposent. Leur réputation en a déjà pris un coup depuis qu’Edward Snowden a mis au jour leur collaboration au système de surveillance créé par la NSA. Aujourd’hui, ils tentent de faire bonne figure et refusent d’arrêter le chiffrement de leurs services. Ces multinationales constituent une puissance économique redoutable. Elles détiennent un pouvoir politique grâce aux internautes qu’elles représentent. Et n’hésitent pas à brandir les pertes financières qu’elles subiraient si demain les gens n’avaient plus confiance en elles et s’en détournaient. Les Etats-Unis contrôlent déjà tous les verrous d’Internet et proposent leurs services dans le monde entier. C’est un système de colonisation bien connu depuis le XVIIIe siècle : on utilise les ressources du pays occupé pour les lui revendre après traitement.

Les acteurs de cette colonisation, ce sont Google, Facebook, Microsoft, Apple ?
Absolument. Il s’agit d’une colonisation informationnelle. Aujourd’hui, la richesse ne provient plus de l’industrie textile, des machines-outils ou même de l’exploitation du pétrole, mais bien de l’information, un domaine dans lequel ces acteurs détiennent un avantage déterminant.

Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas tenté de s’y opposer ?
Il n’y a plus de leader politique sur le Vieux Continent. L’époque des De Gaulle ou des Churchill est aujourd’hui bel et bien révolue. A 28 pays, nous sommes trop dispersés, aucune communauté de pensée ne surgit. Et même si, par hasard, un consensus émerge, il n’aboutit jamais dans les faits.

En tant que l’un des pères d’Internet, pensez-vous que votre enfant a mal tourné ?
[Rires.] Il a grandi. Internet n’a pas modifié la mentalité des gens, il est le reflet de la société. Au début, avec le réseau Cyclades, nous voulions échanger à distance des connaissances entre des chercheurs et faire avancer le savoir. Mais, à partir du moment où tous les gens se servent de ces moyens de communication et en font ce qu’ils souhaitent, Internet évolue.

Vous travaillez pourtant à une refonte complète d’Internet...
Travailler, c’est beaucoup dire : je suis surtout en contact avec des équipes de chercheurs. Cette refonte de base est une nécessité, car Internet est bâti sur un marécage. Le protocole de communication utilisé aujourd’hui n’apporte aucune protection. C’est un prototype qui aurait dû être refait il y a longtemps. À l’origine, il fallait aller vite pour inonder la planète avec ce qui était disponible. Les grands industriels informatiques n’ont pas su s’emparer de cette technologie et ils ont dû répondre dans l’urgence à la demande croissante des individus d’être raccordés. Le succès fut tel que ce protocole s’est répandu, devenant un poison, un véritable chiendent.

C’est-à-dire ?
Tout le monde sait que le protocole de communication actuel est obsolète et qu’on ne peut pas l’améliorer. La seule chose à faire consiste à le rafistoler sans cesse, le rendant du même coup de plus en plus compliqué et instable. Personne n’a lancé d’opération de remplacement avec un Internet du futur, car nul ne sait ce qu’il sera et d’où il émergera. L’Europe pourrait avoir un rôle à jouer dans les cinq à dix prochaines années. Un projet appelé Rina (Recursive InterNetwork Architecture) a été lancé en 2008 et des centres de recherche, basés en Espagne et en Irlande, y travaillent pour développer une nouvelle architecture.

Et en France ?
J’essaie de convaincre de grands groupes comme Orange d’y participer, mais ce n’est pas facile. Les hommes politiques, eux, ne sont pas intéressés par la technique. Aucune structure gouvernementale ne leur permet de discuter avec les scientifiques. Aux Etats-Unis, des conseillers sont régulièrement approchés pour donner leurs avis faire des rapports... Certes, les points de vue divergent souvent, mais, au moins, la partie scientifique n’est pas absente du processus de décision. Je reste toutefois optimiste car en politique survient toujours ce que nul n’avait prévu.

Comme d’autres, aimeriez-vous transférer un jour votre conscience dans un ordinateur, ou sur Internet ?
Je rêve de vider ma mémoire dans un disque dur pour savoir ce qu’il y a dedans. [Rires.] Un jour, qui sait ? Après tout, nos modes de pensée sont fondés sur des circuits nerveux voisins des circuits électroniques, alors...

Source : entretien avec Louis Pouzin, paru dans le journal L'Express du 11 février 2015 (N° 3319)
Merci à Leiopar pour le partage.

[edit] Corrections mineures, ponctuation et mise en forme du texte.

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Dernière édition par yadlajoie le jeu. 05 nov. 2015, 18:53, édité 1 fois.
L'activité politique est un jeu rigolo et j'ai grand plaisir avec / Political activism is a kiddy game and i have a lot of fun with :)

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Re: [L'Express] Entretien avec Louis Pouzin

Messagepar gna » jeu. 05 nov. 2015, 17:26

Merci à vous deux :wink:
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