Je vais commencer par une touche volontairement provocatrice et cinglante. Myroie vient de publier un article intéressant:
"Si tu n'es pas féministe, tu es sexiste"Myroie a écrit :on se moque des marginaux (féministes, végétariens, anarchistes etc) pour être accepté par ses proches ; en se moquant on encourage le système qui permet de dévaloriser le féminisme, on craint ces moqueries, donc on ne se dit pas féministe.
Cette démarche donne sa force au patriarcat. En faisant ainsi, chacun se transforme en petit soldat défenseur de l’ordre établi. Un peu comme dans Matrix : tant que tu n’as pas pris la pilule rouge, tu es un « colluder », sans même t’en rendre compte. C’est seulement en cherchant la vérité que tu cesseras d’en être un et que tu pourras alors lutter contre la matrice, après ton « éveil ».
Je vous invite à le lire en entier en préalable à mon post.
OSB a écrit :D'abord, comme Thufir et Gautier l'ont fait remarquer, la façon même dont le débat a été lancé avec l'idée de nous éduquer, nous, pirates sexistes à partir d'une vérité du féminisme.
Or il n'existe pas un féminisme mais toute une gamme.
Cette position est une imposture intellectuelle. D'une part il ne faut pas faire comme si, on n'avait jamais expliqué qu'il y avait plusieurs féminismes.
Je l'avais déjà fait dans un autre sujet auquel tu avais participé l'été dernier. D'autre part, ce n'est pas très compliqué de brosser le portrait des différents courants féministes de manière intelligible et heuristique (peut être pas de manière exhaustive) et de comprendre pourquoi cela est relativement superflu. Il y en 3, dans leur ordre d'actualité:
Tout d'abord, il y a les essentialistes (appelés aussi différentialistes, naturalistes) qui invoquent l'indépassable différence entre l'homme et la femme du point de vue biologique avec des conséquences sociales comme la féminité, la douceur de la femme, la maternité etc. Sur le plan théorique ce courant est mort, ne résistant pas à l'examen sociologique. Un de ces derniers avatars dans l'espace public serait peut être tout le discours autour du "care". Pour moi ce courant, aujourd'hui, est typiquement un "cache-sexe" du machisme.
Ensuite il y a le féminisme radicale (appelé aussi matérialiste, constructiviste), qui est la position que Myroie, Alda et moi même avons exposé ici sans entrer dans les nuances internes.
Enfin, dernier venu, il y a le féminisme dit "pro-sexe" ou "queer" qui amène de nouveaux thèmes comme la question des travailleurs du sexe (au sens large, pornographie, prostitution), et les minorités sexuelles ou de genres (intersexualité, transgenre) . Sur le plan théorique il est à l'origine peu fourni mais pose des questions très pertinentes au féminisme radicale qui intégrera ces critiques et les digérera pour aboutir à une scission sur le plan théorique entre d'un coté Catharine McKinnon, Andrea Dworkin (plutôt prohibitionniste et abolitionniste) et de l'autre coté Judith Butler, Christine Delphy.
C'est cette dernière position que je défend et que j'ai défendu
lors du débat sur la prostitution notamment en citant le sociologue
Lilian Mathieu. Globalement elle consiste à ne pas se positionner a priori sur la question de la prostitution (pour/contre, abolition/légalisation) mais à souligner les dangers de la position abolitionniste et à mettre l'accent sur la précarité comme vecteur de contraintes (quelque soit le secteur d'activité).
Donc question était il vraiment nécessaire de présenter le féminisme essentialiste ou l’abolitionnisme/prohibitionnisme de McKinnon et Dworkin?
De ces trois grands courants théoriques, il existe en effet des multitudes d'approches militantes (concentrés sur l'aspect juridique, ou engagé sur le terrain de la protestation). Les femens sont un bel exemple de mouvement sans base théorique claire suscitant d'important clivage dans les mouvements féministes. D'une part elles rejettent les "vieilles féministes" intellectuelles sous entendus "mal baisées", de l'autre elles sont plutôt sur la position McKinnon/Dworkin en se montrant proche des prohibitionniste/abolitionniste (je fais référence à leur action au salon de l'érotisme encore qu'on pourrait l'interpréter différemment). Après elles manifestent seins nus, alors ok pour la déserotisation du corps féminin mais le fait de ne montrer que des corps jeunes, minces me semble faire le jeu du patriarcat en particulier de la logique médiatique. Sans compter le racisme de certains propos de leur fondatrice. En bref, je suis dubitatif.
OSB a écrit : autant je ne suis ni d'accord avec les féministes qui attaquent la masculinité lorsque ça leur arrive,
Qu'est ce que tu entends par "attaquer la masculinité"? Est ce une attaque pour toi de dire que la masculinité est une construction sociale qui dans nos sociétés actuelles contient en soi les germes du sexisme?
Le féminisme exposé ici souhaite simple une déconstruction des identités masculines et féminines pour laisser l'individu plus libre de piocher les comportements qu'il souhaite sans pour autant être renvoyé à une féminité ou à une masculinité indépassable.
OSB a écrit : ni avec celles qui veulent restreindre la sexualité comme on l'a vu récemment à la lecture du projet de résolution débattu au parlement européen contre les stéréotypes liés au genre, et qui proposait de fliquer Internet et de lutter contre la pornographie. Thème que l'on a pu lire en filigrane dans certaines interventions ici-même.
Où as tu lu quelqu'un défendre cette position? (en d'autres termes peux tu citer)
OSB a écrit :Par ailleurs, et cela peut se discuter, mais mon sentiment personnel est qu'il ne suffit pas de connaître les approches théoriques ou de partager les idées féministes pour être féministe. Je perçois d'abord le féminisme comme un engagement politique que l'on réalise à partir de son corps de femme. Et c'est même l'une des choses qui me touche le plus dans le féminisme, c'est cet engagement du corps qui est posé comme un espace de revendication politique.
Or moi, mon corps c'est un corps d'homme.
Je ne possède pas de seins de femme que la société m'ordonnerait de cacher et sur lesquels écrire ma révolte. Ma poitrine ne peut pas être un objet politique féministe. C'est ainsi.
Aussi, le terme de féminisme pour moi-même me semblerait complètement inapproprié.
C'est depuis mon propre corps d'homme que je parle. Non pas contre les femmes, mais avec elles, à leur côté, en tant que frère de combat et dans un même processus d'émancipation collective contre la morale sexuelle.
C'est ce corps masculin depuis lequel je parle lorsque je revendique d'en disposer librement, d'en jouir dans sa totalité. Je montre et je parle de mes désirs d'homme, de ma sexualité d'homme de mes fantasmes masculins et de ma masculinité, et c'est contre le mépris et la profonde méconnaissance dont ce corps fait l'objet tant de la part des femmes pour la plupart, que de la part des hommes eux-mêmes que je me bats depuis des années et que je suis bien décidé à continuer à me battre bien au-delà de mon engagement au Parti Pirate.
Là typiquement pour moi, il s'agit d'un glissement essentialiste/différencialiste/naturaliste reposant sur l'indépassable différence des corps biologiques. Je ne vois pas en quoi le fait d'avoir un corps d'homme empêche de comprendre, d'adhérer et de se réclamer du féminisme. Tout simple parce qu'en tant qu'homme, hétérosexuel ou homosexuel, la domination patriarcale, contre laquelle lutte le féminisme, s'inscrit aussi dans nos corps et nos identités, nous la subissons aussi. De plus le corps c'est avant tout du social (je crois que Butler explique même en quoi le social précède le biologique en matière de genre), on parle d'ailleurs de l'individu comme du social incorporé. Je vous invite à lire ou relire Bourdieu ou Foucault.
Pierre Bourdieu, dans le Sens Pratique a écrit :L'hexis corporelle est la mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et, par là, de sentir et de penser
Donc lorsque que tu dis que tu penses/parles/agis à partir de ton corps d'homme, cela signifie simplement que l'identité masculine inscrite en toi détermine ton comportement. Ok, mais cette identité, ce construit social, n'est rien d'autre que ce que t'a imposé notre société patriarcale. En particulier dans les domaines du fantasmes et du plaisir. Ces domaines -- en matière de sexualité hétérosexuelle (c'est sans doute comparable ou du moins cela met en jeu des mécanismes similaires pour la sexualité homosexuelle mais je ne me sens ni compétent ni légitime pour en parler), en tant qu'il constitue un rapport à l'autre, basé sur le consentement, où, en l’occurrence, pour nous, en tant qu'homme, l'autre est une femme -- ne peuvent être extraits de la question plus générale des rapports homme/femme dans la société dans son ensemble. Et donc une réflexion générale sur ces rapports sociaux sexués et sexuels n'est pas superflue.
Pour faire contrepoint à ma première phrase et malgré la tonalité critique de mon discours, je terminerais sur une touche positive: quelque soit nos divergences dans l'approche du féminisme on peut facilement se mettre d'accord sur un certain nombre de mesures à faire rentrer au programme. Je voterais sans aucun doute les différentes mesures que tu as proposé.