A partir de l'hypothèse « chèque éducation », permettez-moi de soulever ou de reprendre plusieurs questions :
1/ Le principe du « chèque éducation », entendu au sens le plus général qui soit, à savoir le "financement public du libre choix des familles", est à multiples modalités : réduction d'impôt, crédit d'impôt (à ne pas confondre avec le précédent), chèque de paiement transféré par les familles à l'établissement de leur choix, chèque versé directement par l'Etat aux établissements suite à choix des familles, etc.
Toutes ces modalités n'ont pas les mêmes conséquences et ne répondent pas tout à fait aux mêmes objectifs.
Exemple : les systèmes du crédit d'impôt, tout comme de la réduction d'impôt, ou encore du chèque de paiement donné aux familles qui le reversent ensuite à l'établissement de leur choix, ont des implications en matière de mode de financement qui sont de nature radicalement différente que celles du système du chèque versé directement par l'Etat aux établissements sur choix des familles.
Ce dernier maintient le fondement de l'organisation actuelle, c'est-à-dire un financement indirect des établissements (puisqu'il ne transite pas par les usagers). En effet, c'est la puissance publique qui finance directement, même si ce n'est plus elle qui, rappelons-le, décide de l'affectation des fonds. Le financement reste du non-marchand non-payant (pour les usagers).
Tandis que les premiers organisent un financement direct des usagers aux établissements. Cela revient à créer un système éducatif de type payant, où les coûts sont adressés directement aux usagers (même si
in fine les coûts ne sont pas forcément assumés par eux mais par la collectivité des contribuables). Cela crée donc, chez les usagers, un état d'esprit d' "acheteur" (et renforce par là celui de "consommateur" de service...).
Autrement dit, les premiers supposent la mise en place d'un système de scolarité payante, les familles étant alors aidées pour financer l'accès à ces établissements...
Or, voulons-nous la mise en place d'un système éducatif payant ?
Si oui, le « chèque éducation » qui le permettrait couvrirait-il l'ensemble des coûts (ce qui signifie que les salariés travaillant dans les établissements seraient obligatoirement payés directement par les établissements recevant les « chèques éducation ») ? Auquel cas, le système serait carrément marchand (
i.e. lorsque la totalité des coûts est présentée aux usagers-clients).
Ou n'en couvrirait-il qu'une partie (auquel cas on peut conserver le fonctionnement actuel de paye par l'Etat) ? Le système éducatif serait alors une généralisation du financement non-marchand à contribution (directe).
(Je rappelle qu'en France, le privé sous contrat avec l'Etat relève du système non-marchand contributif : les familles ne payent qu'une contribution au coût, non la totalité, autrement dit, elles ne contribuent pas au financement du travail des enseignants, leur rémunération étant au contraire prise en charge par l'Etat.)
Mais la logique du « chèque éducation » n'est-elle pas de faire prendre en charge la totalité du coût, plutôt qu'une partie, par les chèques ?
2/ Le principe du « chèque éducation » présuppose également la mise en concurrence des établissements scolaires entre eux. En effet, donner la possibilité aux familles de choisir de donner leur chèque (directement ou indirectement) à l'établissement de leur choix pousse au concours de danse du ventre des établissements. Cette danse du ventre va les inciter (plus que les agissements allant dans ce sens, que l'on décèle déjà aujourd'hui de la part de certains établissements) à se vendre et à mettre en avant des critères plus ou moins justifiés propres à attirer les usagers-clients.
Exemples de ces critères : leurs choix pédagogiques, mais aussi leurs choix non-pédagogiques, leur mixité sociale, leurs taux réussites scolaires (avec mis plus ou moins en arrière-plan : le plus ou moins de sélection à l'entrée !), leur communication publicitaire et le budget qui va avec (voire la dimension "propagande" de cette "communication"), etc.
Est-ce cela que nous voulons, le principe de mise en concurrence des établissements ?
Si, oui, avec ou sans limites ? Lesquelles ?
Si non, comment pallier autrement aux défauts de l'organisation actuelle ?
3/ La mise en concurrence des établissements entre eux, impliquée par le système du « chèque éducation », présuppose elle-même une certaine liberté de recrutement des salariés par les établissements. Appliqué au cas particulier des enseignants, ceux-ci seraient donc recrutés directement par la direction de ces établissements, sur les critères propres à la direction (ou qui ne tarderaient pas à le devenir).
Est-cela que nous voulons ?
Si oui, avec ou non des limites ? Lesquelles ?
Si non, comment pallier autrement aux défauts (s'il y en a) de l'organisation actuelle de mutation interne des enseignants ?
4/ En lien avec la question des inégalités économiques et celle de l'héritage.
Si l'on considère que le service d'éducation est un véritable service public (cf. définition d'un service public :
http://forum.partipirate.org/programme/transparence-mais-pas-politique-t8282.html#p72207, avec ses nuances), et dans l'hypothèse où le principe de « chèque éducation » serait mis en place, pourquoi ne pas concevoir que l'une des contraintes imposées aux établissements pourrait être le niveau du tarif ?
Je m'explique : le coût d'accès aux établissements payés par les usagers-clients serait uniformisé (des différences étant faites selon le niveau de scolarisation et le type de spécialisation : primaire, secondaire, professionnel, technologique, général, supérieur (?), etc.). Ce coût d'accès (ou grille de coûts d'accès), uniformisé, s'imposerait à tous les établissements publics comme privés remplissant cette mission de « service public ».
Du point de vue des usagers, deux possibilités seraient alors envisageables : soit le coût d'accès serait le même pour toutes les familles (familles ou élèves ?), soit il serait progressif selon le niveau de richesses économiques des familles (familles ou élèves ?).
Le tarif uniformisé éviterait le retour des inégalités économiques par la porte de derrière, avec des établissements à coût d'accès supérieur au montant du « chèque éducation », qui ne seraient finalement accessibles qu'aux familles (ou élèves) pouvant se permettre de payer au-delà du chèque, ainsi qu'aux familles (ou élèves) prêtes à s'endetter pour payer ce supplément. Les autres familles (ou élèves), soit une très grande proportion, s'étant limitées aux établissements à coût égal (ou inférieur) au « chèque éducation ».
5/ Au-delà de la dimension de liberté de choix d'accès à tel ou tel établissement, assimilé un peu abusivement à une démocratisation (cf. "démocratie de consommateurs"), ne peut-on pas penser à accentuer la dimension démocratique à l'intérieur-même des établissements ?
Par exemple, démocratiser les Conseils d'administration, qui ne sont en réalité quasiment que des chambres d'enregistrement ? (Voir la Proposition n°19 que j'ai présentée dans un autre fil :
http://forum.partipirate.org/programme/propositions-pour-programme-socio-economique-t8191.html#p70012).
La démocratisation de la société ne doit-elle pas se concevoir comme un processus englobant l'ensemble des dimensions et aspects de la société ?
A l'issue de ces cinq points, une question supplémentaire qui contient, sans les écarter, toutes les précédentes. Quel système de valeurs inspirant l'organisation générale du système éducatif voulons-nous ?