piotrr a écrit :1. Qu'apportent de neuf les partis pirates alors que la pratique du hacking est plus ancienne
Hors sujet. Déjà, le fait même de qualifier les hackers de "Pirates" est un abus de langage propagandiste. Je rappelle qu’un hacker, c’est tout simplement un expert informatique (parfois spécialisé dans les questions de sécurité). Dit comme ça, c'est peut-être moins sexy ou "journalistique" mais c’est nettement plus pertinent.
Ensuite, les mouvements hackers ne se mêlent pas de politique, à quelques exceptions : le groupe Hacktivismo, avec qui votre serviteur a été en lien entre 2006 et 2008, le groupe Wikileaks, qui a fait son apparition au moment où le mouvement Pirate s’implantait dans le monde, et le mouvement du logiciel Libre autour du projet GNU, qui a effectivement été une influence importante de notre démarche (et avec qui nous sommes en lien depuis 2007, là encore à l’initiative de votre serviteur). L’important n’est pas ces franges en elles-mêmes mais la transformation sociale profonde dont elles ne sont qu’un signe annonciateur. Notre mouvement vise à donner une expression politique dès que possible à cette transformation (qui se fera avec ou sans nous, mais nous estimons qu’elle se fera de manière plus réfléchie, plus sereine et plus prometteuse si des groupes comme le nôtre sont là pour l’accompagner plutôt que si elle est subie par des acteurs politiques traditionnels qui n’en peuvent mais). Dans ce cadre, nous fédérons non seulement des sphères liées au hacking, mais aussi et surtout des mouvements de vigilance citoyenne, des collectifs d’artistes, des regroupements de consommateurs, des enthousiastes du logiciel Libre,... sans parler de la jeunesse de notre société qui s’était dépolitisée depuis longtemps faute de se reconnaître dans aucun des projets existants.
piotrr a écrit :2. Les partis pirates dénoncent la domination de grands acteurs monopolistiques comme Facebook et Google, mais quelles sont les alternatives concrètes ? Est-ce qu'elles passent par des mesures législatives ? autres ? lesquelles ?
Si c’est tout ce qu’ils ont retenu des idées du Parti Pirate, c’est qu’ils ont sacrément mal lu. La domination de telles entreprise est effectivement dangereuse et délétère, mais ne saurait être assimilée à une forme de terrorisme ou de totalitarisme : que je sache,
personne ne vous oblige à être sur Facebook. Les alternatives existent (DuckDuckGo pour vos recherches Web, Identi.ca pour votre vie sociale,...), elles n’ont besoin que de gens pour les adopter. Ce qui est particulièrement intéressant parmi de telles initiatives, c’est que certaines d’entre elles autorisent un fonctionnement authentiquement décentralisé (Seeks, StatusNet, Diaspora*) et qui permet donc potentiellement de s’affranchir de tout pouvoir centralisé.
Ce que nous reprochons aux situations de monopoles d’entreprises telles que Google ou Facebook, c’est qu’elles ouvrent la porte à une surveillance indue des utilisateurs (que ce soit sur ordre de gouvernements ou de publicitaires, pour des raisons politiques ou économiques ou quelles qu’elles soient). Partant, le législateur a effectivement un rôle à jouer en (ré)affirmant fermement le droit des citoyens à une vie privée et à des communications confidentielles, mais cela ne règle pas le problème des pays où ce droit n’existe pas. La solution réside donc dans le développement et la promotion d’alternatives Libres, publiques et décentralisées -- soulignons à ce propos que la recherche publique (civile et non militaire, contrairement à une idée reçue) est ce qui a permis l’avènement d’Internet en premier lieu, puis du Web.
Maintenant, on parle beaucoup de Google en ce moment et je puis comprendre que l’attention médiatique soit concentrée sur ce sujet, mais ce serait une lourde erreur que d’y voir le cœur des préoccupations du Parti Pirate.
piotrr a écrit :3. La protection de la vie privée est un thème important des partis pirates. Pourquoi ?
Non. La protection des
libertés civiles est un thème important des Partis Pirates. Cela inclut des libertés individuelles (dont le respect de la vie privée) mais également des libertés collectives, et nous appelons à ce que _toutes_ soient respectées, ici comme ailleurs. La généralisation des communications, notamment auprès des jeunes générations, et les comportements d’
extimité auxquels elles peuvent donner lieu, ont pu laisser croire que la notion de vie privée s’érodait : il n’en est rien. Aujourd’hui plus que jamais, les personnes de tous âges et de tout milieu doivent avoir les moyens de contrôler la manière dont elles se présentent au monde, que ce soit dans la sphère publique, la sphère semi-privée ou la sphère privée. C’est là un enjeu majeur de la transition sociétale vers les communications numériques : ce qui nous fera choisir entre la technologie qui libère et la technologie qui asservit.
Cependant, le droit effectif à une vie privée n’est pas seulement fonction de l’éducation et de la responsabilisation des personnes ; il est également un principe républicain (désolé Piotrr&Co) essentiel, qui n’est que trop piétiné par les acteurs les plus puissants, commerciaux ou institutionnels. Les prestataires de services et publicitaires sont (presque) parvenus à faire admettre l’idée que "pour notre bien", "pour nous proposer une meilleure offre", "pour nous faire bénéficier d’un service personnalisé", il était normal d’espionner nos faits et gestes. De même, les législatures depuis une dizaine d’années se succèdent pour expliquer doctement que les citoyens doivent renoncer à une partie de leurs droits fondamentaux sous divers prétextes (sauver les gentils artistes, poursuivre les méchants pédophiles, stopper les méchants terroristes) ; cette pente dangereuse _doit_ cesser. Car le mécanisme qui se met ainsi en place est techniquement indistinct de celui qui pourrait sous-tendre, demain chez nous (et dès aujourd’hui dans certaines régions du monde), un régime totalitaire.
piotrr a écrit :4. Le Parti Pirate défend la "légalisation du partage des données" (j'ai rectifié : "légalisation du partage non-marchand des oeuvres culturelles"). Mais alors comment financer les créateurs ?
Ce sont deux éléments qui n’appartiennent tout simplement pas à la même équation. C’est un peu comme si je vous disais "vous voulez autoriser les gens à repeindre leurs chaussettes en vert... Mais alors, que vont devenir les marchands de chemises ?". Tout d’abord, parler des "créateurs" quand ce dont on parle réellement est une industrie fondée sur l’intermédiation, relève d’une propagande primaire et trompeuse. Nous ne sommes pas là pour sauver le chiffre d’affaire de grands groupes médiatico-culturels qui sont, en dernière analyse, les véritables (sinon les seuls) bénéficiaires de ce que l’on nomme abusivement « droit d’auteur ». Reste à savoir, au demeurant, si leur situation est si dramatique que cela : la dernière fois que j’ai regardé, la bulle des années 1990 avec le prix outrageux des CD était effectivement en train de se dégonfler (il était temps) mais ni la fréquentation des salles de cinéma, ni celle des concerts, ni même la vente de pistes musicales par Internet n’était en récession.
Il est donc établi que le partage décentralisé d’œuvres couvertes par le droit « d’auteur » ne cause aucun préjudice majeur aux vendeurs, et encore moins aux créateurs (toutes les études le montrent, ceux qui téléchargent sont également ceux qui achètent le plus, blablabla). Il est quand même ahurissant (et tragiquement révélateur) que la seule réaction de tous ces acteurs censéments préoccupés par la "qualité", la "diversité" (variante : "l'exception") culturelle, soit bêtement de chercher à réactiver au plus vite de nouvelles situations de rente, plutôt que de raisonner à long terme et de se rendre compte de la
formidable opportunité que représentent ces échanges dématérialisés pour le milieu artistique dans son ensemble. En augmentant le degré global d’exposition à la culture de nos concitoyens, on met en place les fondations d’une vie culturelle bien plus riche (ou pour le dire plus primairement : les gens qui découvrent des chanteurs par P2P vont à leurs concerts, tagada-tsoin-tsoin). De plus, entre les auteurs et leur public (mais également entre _les_ publics eux-mêmes) se crée une situation inédite de quasi-immédiateté, qui permet un échange humain bien plus enrichissant -- y compris au sens sonnant et trébuchant : cf les exemples tarte-à-la-crème d’auto-édition/auto-distribution, Radiohead en 2009, 9in Nails, J.A. Konrath, Humble Bundle, Trent Reznor, Jon Coulton, Felicia Day etc.
Dans ces échanges d'égal à égal (ou "de pair à pair", wink wink), le public cesse enfin d’être confiné au rôle passif et infantilisé que se bornait à lui imposer le carcan capitaliste traditionnel : le public n'est plus simple
consommateur mais devient
acteur.
piotrr a écrit :5. Est-ce que l'objectif du Parti Pirate français lors des prochaines échéances électorales est de faire aussi bien que ses cousins allemands ?
La branche française du mouvement Pirate partage le même objectif que tous nos "cousins" : faire entendre notre voix, coûte que coûte, et susciter enfin les débats que notre société en mutation mérite. Si la seule façon pour ce faire doit être de parvenir au pouvoir, alors tel sera notre objectif. Deux remarques s’imposent néanmoins. La première est que notre engagement est pensé sur le long terme : nous sommes bien plus qu’un effet de mode, et la progression de fond est plus importante que les succès ponctuels (même si ces derniers sont incontestablement plus propices en Allemagne, le dispositif français étant calibré pour décourager toute force politique naissante). La deuxième est que, depuis six ans déjà, notre présence contribue à modeler le paysage politique national et international. Si cette tendance ne se dessine que de façon superficielle en France (j’en veux pour exemple la danse du ventre dont nous gratifient les différentes formations de gauche et de droite lorsqu’en période électorale elles partent à la
pêche au geek), elle est est déjà nettement perceptible à l’échelle européenne, où non seulement le groupe des Verts a adopté certaines de nos positions mais on en retrouve même des traces, à l’occasion, notamment dans les interventions de la rapporteur Kroes (droite).
piotrr a écrit :6. A propos des pirates allemands, un des derniers responsables du PP-de n'est pas un informaticien mais un fonctionnaire du ministère de la Défense. Est-ce compatible avec l'ADN du Parti Pirate ?
Parler d’A.D.N. pour quoi que ce soit d’autre qu’un organisme biologique, je préfère laisser cela aux publicitaires. De plus, vous vous méprenez si vous imaginez que le Parti Pirate, comme c’est trop souvent le cas en politique, représente un _produit_, une offre toute-faite qui est à prendre ou à laisser pour l’électeur-consommateur. Notre mouvement est un _projet_, qui se construit de manière progressive, collective et contributive. Partant, nous ne pratiquons strictement aucune discrimination et tâchons chaque jour de laisser nos préjugés socio-professionnels de côté : chacun peut contribuer au débat, quel que soit son âg
e, son origine, son arrière-plan ou sa CSP. Il existe évidemment un danger d’entrisme et de manipulation, qui est bien moindre aujourd’hui qu’il ne l’était il y a six ans et contre lequel nous avons appris à nous prémunir. Je ne connais pas personnellement la situation de ce monsieur mais je note que s’il est devenu "responsable" du Piratenpartei ce n’est certainement pas sans la confiance et l’estime de ses pairs. Qui serions-nous pour préjuger que cette confiance est imméritée ?
Voilà quelques exemples de réponse. Amusez-vous bien et bon vent.