plazareff a écrit :Je me permets de profiter de votre message pour rassasier davantage ce que vous avez fort justement perçu comme une saine curiosité de ma part: pouvez-vous me dire comment il se fait que ce qui ne prend « qu'un après-midi » et, au delà du simple aspect purement administratif, ce qui se résume en trois lignes dans votre message, ait dans la pratique mis trois ans à survenir ?
Mais très volontiers.
Le 21 juin 2006, en plein débat sur la loi "dadvsi", apparaît à grand fracas un "Parti Pirate" en France, sous forme d'un blog et d'un forum situés à l'adresse
http://www.parti-pirate.infoAvec ses quelques revendications délibérément outrancières (qui incluaient, pour mémoire, quelques perles telles que l'Internet gratuit pour tous, l'abolition du droit d'auteur, et l'anonymat total et inconditionnel pour tout le monde), présentées d'une façon particulièrement bien pensée (mystère le plus total sur l'identité de ses auteurs, communiqué audio déformé envoyé aux médias), cette initiative a au moins le mérite de faire connaître en France l'existence du mouvement Pirate, jusque là exclusivement suédois. C'est notamment dans le sillage de cette initiative qu'apparaîtront, dès le mois de juillet 2006, une vingtaine d'autres partis dans divers pays du monde.
Dès la fin du mois de juin, parmi les simples curieux qui s'inscrivent sur le forum, se trouvent ceux qui (mais il ne le savent pas encore) seront amenés bien malgré eux à constituer le premier Bureau du Parti Pirate, trois ans plus tard. Sans la moindre expérience en la matière, par pure sympathie désintéressée, ils suivent les discussions du mieux qu'ils le peuvent (à raison de plusieurs centaines de messages par jour, il faut s'accrocher). Comme tout le monde, ils sont embarqués dans l'exaltation de ce qu'ils pressentent (à raison) comme l'avènement d'un nouvel espoir(tm) ; qui d'un blog ("pavillon noir", floyd), qui d'un
autre blog ("la silhouette", daedalus), et qui d'un wiki (votre serviteur, sur son site web personnel), ils mettent comme tout un chacun leurs faibles moyens au service du Parti (à l'été 2006, il me semble avoir dénombré plus de cinquante blogs affiliés au Parti Pirate).
Dès le mois de juillet 2006 se pose la question de la tournure juridique à donner à la chose. L'on commence à parler de "statuts", de "programme", d'"orientation politique" et, comme à chaque fois que l'on soulève de grands mots, tout ce petit monde entreprend de s'écharper joyeusement. Ce que voyant, les instigateurs du coup de buzz mettent discrètement la clé sous la porte -- il faudra à peu près trois mois au reste des membres pour s'en rendre compte, et d'ici là une large partie des 4000 membres du forum se seront également découragés.
L'instauration d'une nouvelle direction ne se fera pas sans mal, les réunions irc ayant une forte propension à tourner au pugilat. Disons pour vous donner une idée que l'ambiance des deux dernières semaines septembre 2009 passerait pour un calme après-midi à la campagne à comparer de l'automne 2006. Fin 2006, il ne reste guère qu'une poignée de membres qui s'évertuent à maintenir en vie la structure. Ces membres commencent à rédiger de façon plus sérieuse des statuts qui puissent à la fois obtenir l'agrément de ces messieurs de la préfecture, et garantir ne serait-ce qu'un semblant de pérennité pour un mouvement qui a déjà prouvé sa tendance à l'auto-destruction.
Par une belle journée au début de l'année 2007, les membres du forum du parti pirate ont la désagréable surprise de s'apercevoir que leur site est inaccessible. Renseignement pris, il s'avère que le nom de domaine parti-pirate.info n'a pas été renouvelé par qui de droit (dont, encore aujourd'hui, nous ignorons l'identité). Ledit nom de domaine étant tombé aux mains d'un courtier américain qui en demande une petite fortune, lesdits membres commandent un nouveau nom de domaine : ce sera cette fois
http://www.parti-pirate.fr (ce qui n'est, ma foi, pas plus mal). L'on se remet donc au travail, lequel travail consiste principalement à réparer tant bien que mal l'image désastreuse du mouvement, liée à ses débuts chaotiques. De nombreux contacts fort intéressants sont noués dans les médias, auprès d'associations diverses, auprès du Parti Pirate International, auprès des artistes (notamment en mettant en chantier la première compilation de musique Libre).
Les statuts ont entretemps été avancés, et sont prêts à être ratifiés en juin 2007 par trois des membres toujours présents, après de nombreuses discussions. L'enveloppe commence à traverser la France de part en part pour recueillir les précieuses signatures, elle n'ira d'ailleurs pas bien loin mais n'anticipons pas.
Non que les tentatives de putsch, de noyautage, les dissensions et foires d'empoigne en tous genres aient entretemps cessé. J'en veux pour preuve la délicieuse anecdote suivante : un beau matin d'été 2007, en se rendant sur leur forum préféré, les membres du Parti Pirate ont la surprise de constater, non que le nom de domaine a disparu, mais qu'il pointe... vers un
autre Parti Pirate, fondé par un ancien administrateur et fort humoristiquement nommé, en mémoire des débuts provocateurs de 2006, du doux nom de "Canal Historique".
L'Historique en question à l'origine de cette délicate attention faisant partie des trois membres censés constituer le Bureau de la nouvelle association, les statuts se retrouvent de nouveau en sommeil -- et révèlent, du reste, leurs limites. Cette fois encore, les membres restants trouvent, on ne sait où, le courage et les ressources pour continuer leur cheminement en dépit des avanies. Ils font l'acquisition d'un nouveau nom de domaine,
http://partipirate.org (notez l'absence de trait d'union), et se remettent à l'eau avec un forum tout neuf et tout vierge (le "Canal Historique" ayant récupéré la totalité des bases de données du forum précédent, d'ailleurs patiemment rempli depuis plus d'un an par lesdits membres).
Fin 2007, une nouvelle équipe est en place (non pas en ce qu'elle est constituée de nouveaux membres, mais qu'elle n'est plus constitué des anciens membres qui sont partis, j'espère que vous me suivez). Le premier volume de la désormais célèbre "compil' Pirate" est prêt, et deux des membres du futur Bureau provisoire l'emportent d'ailleurs avec eux lorsqu'ils se rendent à Berlin début 2008 pour y représenter le Parti Pirate lors de la conférence internationale organisée par le Parti Pirate International.
C'est également à cette conférence d'anthologie que l'un desdits représentants dévoile officiellement son ambitieux projet de plateforme Internet dédiée au Parti Pirate. Sa première ébauche, connue sous le nom de code "v3", peut d'ailleurs encore être admirée puisqu'elle constitue encore à ce jour notre site web. Mais le projet ne s'arrête pas là, attention, en effet une "V4" est déjà en pleine phase de conception, avec notamment l'aide d'une graphiste professionnelle, etc. Un plan audacieux se fait dés lors jour : lancer d'un même coup les adhésions, la V4, le second volume de la Compil', tout ça tout ça.
L'automne 2008 s'avérant particulièrement chargée pour la plupart des membres du Parti (et quand je dis chargée, je veux dire par là zéro minute de temps libre par semaine), la signature des statuts est repoussée à début 2009. Ce qui sera fait. Entretemps, la loi dite "création et Internet") a fait son entrée au Parlement, et de nombreux collectifs (parfois montés spécialement pour l'occasion) en profitent pour faire du buzz. Parmi ceux-ci, mentionnons un nouveau Parti Pirate : le... perdu, le "Réseau des Pirates", initiative sans lendemain lancée par quelques personnes qui font peu de cas de nous (mais nous le leur rendons du mieux que nous pouvons, rassurez-vous). Pendant ce temps, de plus en plus de membres du "Parti Pirate Français Canal Historique" s'inscrivent à notre forum ; à tel point que ledit Canal Historique fermera plus ou moins ses portes au bout de quelque temps.
En avril 2009, la création de notre association est enfin entérinée au Journal Officiel : il est temps de passer aux choses sérieuses. Alors, voyons voir, que nous faut-il ? Tiens, un compte en banque, voilà une idée qu'elle est bonne. Le trésorier de l'association entreprend (dès qu'il a une après-midi de libre) de faire la tournée des agences, pensant encore à l'époque (le malheureux) pouvoir se permettre de comparer les conditions et les frais attachés aux différentes offres. Parmi les banquières et banquiers qu'il rencontrera au cours de ses tribulations, certains demandent une montagne de pièces dont il ne dispose pas, d'autres demandent à rencontrer le Président en personne (ledit président, se rendant dans d'autres banques près de son domicile, fera l'expérience inverse), d'autres acceptent le dossier, on vous rappellera dans la semaine, puis s'avèrent bizarrement injoignables, d'autres encore baladent leur aspirant-client de service en service, de conseiller en conseiller... Une constante tout de même : très étrangement, l'accueil change du tout au tout dès que leur regard se pose sur l'intitulé de l'association. Un seul banquier aura la correction de signifier clairement son "allez-vous-faire-foutre" ; c'est ce qui permettra au Parti Pirate de présenter un recours auprès de la banque de France, en septembre 2009.
Entretemps et pour ne pas omettre un chapitre des plus savoureux, le 7 juin le mouvement Pirate connaît une victoire certaine, puisqu'un de ses représentants accède au Parlement Européen. Le 8 juin apparaît en France un blog et un groupe facebook à la stupéfaction totale des membres du Parti Pirate, qui n'ont jamais entendu parler de l'auteur de cette initiative délectable, même si, comme vous l'avez constaté si vous me lisez encore depuis tout à l'heure, ils en ont vu bien d'autres. De l'avenir de ladite initiative, il ne nous appartient pas de juger puisque nous sortons ici de l'Histoire pour entrer dans l'actualité. Nous nous contenterons d'observer que, malgré les vicissitudes et l'absence de moyens structurels, le Parti Pirate représente manifestement toujours un mouvement enthousiasmant, ou, suivant le point de vue duquel on le voit, un enjeu de taille. De fait, à partir du mois de Juin déferle une vague d'engouement sans équivalent depuis 2006 (le Parti Pirate tient à ce titre à remercier le législateur : une loi liberticide bien choquante tous les trois ans, c'est parfait pour nous), qui connaît à ce jour un avenir plus radieux que celle qui l'a précédée, puisque nous avons été en mesure de prendre part à des élections législatives partielles et d'offrir à nos sympathisants la perspective de rejoindre officiellement notre mouvement.
Voilà pour un résumé succinct (oui succinct, je vous prie de le croire) de la façon dont nous avons employé les trois années précédentes. J'ai délibérément laissé de côté la geste du PPI (qui n'a rien à envier à celle que je viens de narrer), ainsi que les débats d'idées (parfois intéressants, quoique pas toujours), les rencontres et partenariats que nous avons pu nouer, etc. Pour beaucoup d'entre nous, la vie du Parti Pirate a été l'occasion de nouer de véritables liens d'amitié (qui, pour la plupart, n'ont pas survécu aux vagues de découragement successifs) ; sans aller jusque-là, la leçon que j'ai pu en tirer est que seul le temps passé ensemble face aux épreuve permet d'instaurer une véritable confiance entre des gens qui n'auraient sans cela aucune chance de parvenir à travailler ensemble. Le corolaire malheureux de cette leçon étant que nous nous devons de ne pas sacrifier au rythme souhaité (voire exigé, ici ou là) par certains de nos membres les plus récents.
Bien évidemment, ce qui précède n'a valeur que de témoignage pers-onnel, et il est à envisager que d'autres personnes embarquées dans l'aventure en aient eu une vision différente (quoi que probablement plus parcellaire).