
D’abord, sachez que j’ai beaucoup de sympathie pour ce que vous entreprenez. La coquille est foutrement alléchante : défense des libertés individuelles et a fortiori des libertés dites « numériques » dans un contexte franchouillard d’inflation législative et de multiplication des interdits, des règlementations, des normes qui en définitive restreignent toute possibilité d’initiative individuelle. C’est très louable à plus forte raison que je suis personnellement convaincu que c’est de cela dont les gens ont besoin, d’oxygène, même s’ils n’en sont pas toujours conscients, probablement parce que le choix a été fait longtemps en arrière de donner le droit de vote à tout le monde sans prévoir des structures éducatives suffisantes à l’exercice d’une citoyenneté éclairée. Du coup ça part dans tous les sens. Mais bon bref, ça c’est un autre problème.
J’ai deux séries de remarques à formuler.
1 – Contrairement à la plupart des structures politiques classiques sur l’échiquier politique, vous partez de rien ou si peu : la contestation d’une législation liberticide, en l’occurrence tout l’arsenal normatif développé par les conservateurs pour brider le numérique. Le premier constat que je fais quand je lis vos contributions sur le forum et ailleurs c’est que vous n’avez pas le moindre début d’idée politique, dans le sens construction intellectuelle qui projette sur l’avenir un modèle de société. Du coup on se demande si c’est du lard ou du cochon, un peu comme avec les écologistes y’a une dizaine d’années : des fois on a l’impression que vous êtes une composante de la gauche socialiste, puis on se dit qu’en fait vous êtes des libéraux démocrates, et enfin on se dit que vous êtes des communistes (j’ai même vu des touches de nationalisme par ci par là). Or, il est absolument primordial de clairement identifier un projet politique : l’électeur de base est un crétin dont l’éducation politique est proche du néant, il faut partir de ce principe (Churchill disait : « une conversation de cinq minutes avec l’électeur moyen est le meilleur argument contre la démocratie »). L’électeur a besoin d’être pris par la main : il a besoin d’une base idéologique solide, identifiable, certaine, invariable, ce dont, sauf erreur de ma part, vous êtes très loin de disposer.
Ce qui m’amène à mon…
2 – Un parti politique a besoin d’un projet défini a priori, en petit comité ou par un seul homme, un leader (élu ou pas, peu importe). Oui, je sais, ça fait pas très « démocratie participative » mais c’est comme ça depuis le début du XX° siècle et l’invention du parti moderne, théorisé par un type qui s’appelait Lénine. Croyez-le ou pas, tous les partis sont aujourd’hui construits sur le modèle léniniste : un chef ou un petit comité de chefs, des militants soumis, petits soldats dévoués à une cause. Ceux qui le comprennent dominent le jeu politique : quand Sarkozy dit « blanc », tout l’UMP dit « blanc » à l’unisson. Ceux qui tentent de s’en démarquer échouent lamentablement : c’est le vice interne du PS, ils introduisent de la démocratie là où il ne faut surtout pas qu’il y en ait : au sein du parti. Un parti c’est une machine à gagner des élections, avec un programme défini en haut et imposé à la base. On y adhère ou on y adhère pas : le choix il est là. Si on y adhère on le fait jusqu’au bout et on ferme sa gueule. Si on y adhère pas ben on reste « sympathisant », comme la très large majorité des électeurs : on fait le tri, individuellement, entre ce qu’on aime et ce qu’on aime pas et partant de là on fait un choix électoral. Mais le principe de base est le suivant : la démocratie c’est en dehors du parti. Dans le parti, c’est la dictature. Ce qui m’amène à la remarque suivante vous concernant : vous n’arriverez à rien si vous tentez de construire un programme à partir d’une foultitude de contributions venant de gens aux opinions très différentes (c’est normal, il existe autant d’opinions que d’individus). La logique d’une élection c’est de convaincre les gens à l’extérieur de parti que vous avez raison et que les autres ont tort : si vous partez du principe que tout le monde peut avoir raison, alors remballez tout et faites autre chose. Vous vous épuiserez, comme le PS, à faire de la « politique interne », ce qui est une hérésie totale. Le point de départ c’est le programme, intangible, qu’il faut promouvoir pour que les gens se disent « ah ouais je vais voter pour ça parce qu’on m’a convaincu ».
Bref, pour conclure, si votre démarche est séduisante pour qui s’y intéresse un peu, vous manquez de visibilité (et c’est un euphémisme). Votre « déclaration de politique générale » qui est ce qui s’approche le plus d’un programme pose davantage de questions qu’il n’en solutionne. C’est une énumération de constats neutres sans consistance politique qui fait ressembler votre entreprise à un groupe de pression davantage qu’à un parti politique. De mon point de vue vous avez un travail à faire pour dépasser le stade du lobbying sur la question des libertés numériques. Certains d’entre vous vont devoir prendre cette responsabilité et tout ce qui en découle, en particulier être prêts à ne pas plaire à tout le monde, y compris à des gens qui a priori auraient pu sympathiser.
Voilà, voilà. En espérant que vous ne prendrez pas mal ma contribution. Mais sachez que ma critique est à la mesure de l’intérêt que je vous porte.
Cordialement,
AGG